24 février 2020
Si, grâce à son champagne et à son soleil, Cannes est le festival du glamour Berlin, pour cause de schnaps et de grisaille, est celui de la politique. En ce dimanche berlinois, la politique était cependant loin dans les pensées lors de la projection du délicieux Pinocchio de Matteo Garrone (Dogman) dans la section Berlinale Special. Roberto Benigni, fan de l’histoire au point d’avoir voulu y jouer lui-même le rôle-titre dans sa production malheureuse de 2002, y revient ici dans le rôle de Geppetto, le pauvre père de l’aventureuse marionnette de bois. C’est touchant, souvent drôle, et parfois cruel comme tous les bons contes de fées. Les effets spéciaux qui donnent au visage du jeune Frederico Lelapi l’apparence d’une marionnette de bois y sont au service de l’histoire (et non l’inverse) et les somptueux décors offre un bel écrin pour les personnages habilement déguisés. Deux heures de bonheur mêlées de quelques larmes parce que Roberto Benigni en Geppetto c’est… Vraiment c’est… (sniff!)
Un paquet de Kleenex plus tard, nous avons vu Undine de l’Allemand Christian Petzold, certainement le film le plus attendu de la Compétition. Ce nouvel opus du talentueux réalisateur de Barbara (2012) et de Transit (2018) est une exquise histoire d’amour basée sur la légende des sirènes, lesquelles tuaient les hommes qui les délaissaient. Paula Beer, qu’on voit partout depuis Frantz (2016), y interprète Undine, une jeune guide qui effectue la présentation de maquettes historiques sur la ville de Berlin. Suite à une déception amoureuse, elle rencontre Christoph (Franz Rogowski), un plongeur industriel avec lequel elle visite les profondeurs des lacs de barrages. Original et inventif, le scénario de Petzold est soutenu par la subtile caméra de son vieux comparse Hans Fromm, lequel crée de magiques atmosphères subaquatiques. Le couple Beer-Rogowski, déjà rencontrés dans Transit, est d’une chimie palpable à l’écran. Une belle histoire d’amour brillamment menée et pleine de sensibilité, au point de nous faire saluer la pluie qui tombait drue en sortant de la projection, puisqu’elle nous gardait dans l’esprit aquatique du film.
Les traditions ancestrales en conflit avec la religion des colonisateurs composaient les thèmes des deux films suivants, soient Todos os mortos du Brésilien Caetano Gotardo, présenté en Compétition et High Ground de l’Australien Stephen Maxwell Johnson, dans Berlinale Special. Situé dans le Brésil de 1899 où l’esclavage vient tout juste d’être aboli, Todos os mortos présente un brillant portrait des femmes de deux familles en conflit. Les Soareses, producteurs de café et anciens possesseurs d’esclaves sont confrontées à demander les services d’Ina, une ancienne esclave autrefois renvoyée à cause de sa fidélité à la religion de ses ancêtres africains. Sensuelle dans ses textures, l’approche de Caetano juxtapose les époques pour illustrer l’importance de l’héritage ancestral même au sein de la vie moderne. Son film montre de subtils portraits de femmes fortes et complexes, confrontées dans leurs convictions religieuses les plus profondes, mais forcées par la force des choses à l’entraide.
À l’opposé, Stephen Maxwell dans High Ground, fait le récit d’un conflit ouvert et meurtrier entre guerriers Maoris et chasseurs de tête blancs dans l’Australie de 1931. Douze ans après que sa famille ait été massacrée sans raison par des chasseurs de tête, le guerrier Baywara cherche vengeance. À l’écoute de la sagesse la Mère-Terre, son père souhaite, lui, restaurer l’équilibre détruit par la violence et la colère.
L’un et l’autre film met en lumière les équilibres millénaires détruits par l’arrivée des colonisateurs blancs, tant au niveau de l’écologie que du sacré. Là où les deux réalisateurs font fort, c’est de mettre en valeur à quel point ces deux questions sont irrémédiablement liées.
Bonheur du jour : Le party de l’ambassade du Canada est LA soirée à ne pas manquer à la Berlinale. Compte tenu de sa proximité sur Potsdammer Platz et de l’engouement des Allemands pour tout ce qui concerne le Canada, c’est toujours réussi. Surtout depuis que notre ami Jason y amène dans ses valises des huîtres fraîches de Nouvelle-Écosse. Huître par huître, nous nous rapprochons de l’Illumination bouddhique. Cependant, la dissolution de l’ego étant un long processus (surtout pour un journaliste), cela prend beaucoup d’huîtres !
Lendemain de veille : Littéralement, après avoir copieusement arrosé les huîtres de Jason de gin tonic Ungava. Nous allons revoir Jason derrière son bar à huîtres demain pour l’événement de promotion de Devour, le festival canadien consacré au cinéma culinaire. Esprit de Bouddha, me voici !
23 février 2020
Donald Trump, au vu de la victoire de Parasite aux derniers Oscars, a demandé à ravoir un nouveau Gone with the Wind (1939). Notre opinion diffère : ce que Trump veut ravoir, celui qu’il rêve d’incarner, c’est Lewt, le beau cowboy raciste et abusif interprété par Gregory Peck dans Duel in the Sun (1946). Ce classique de King Vidor restauré dans toute sa splendeur par le Museum of Modern Art de New York, laisse Gone with the Wind, dont on a critiqué le racisme et la misogynie, loin derrière sur ces deux éléments. Pour compenser, le même Gregory Peck incarnera plus tard le rôle-culte d’Atticus Finch dans To kill a mocking bird (1962). Présenté dans la section Rétrospective, laquelle célèbre cette année les films de Vidor, Duel in the Sun permet de comprendre la nostalgie d’une certaine Amérique pour son passé. Et son amour des guns !
À l’autre extrémité du Western, First Cow de l’américaine Kelly Reichardt, présenté en Compétition, montre une exquise amitié entre deux colons, un Américain et un Chinois, dans l’Oregon des années 1820. L’industrie laitière étant la source de pollution que l’on sait, il est difficile d’imaginer l’impact au quotidien de la première vache qui fit son apparition dans cet état alors peu développé de la côte ouest. Pas de lait, pas de gâteau, pas de beignet, pas de crêpe, ni aucune des finesses de la pâtisserie. Spécialiste des amitiés entre hommes, Kelly Reichardt nous montre deux artisans unis dans leur désir de réussite dans ce nouveau lieu d’opportunités que représentait alors l’Ouest américain. C’est beau, un peu lent, brillamment filmé et cela parvient à nous captiver pendant deux heures (sans coups de fusil).
De la vache de Kelly Reichardt, nous sommes passé au ver de terre de Philippe Garrel. Tourné en noir et blanc (pour faire style), Le sel des larmes est d’un ennui congénital dès la première seconde, un malheureux ersatz de Godard, un exercice d’école du cinéma par ses moins bons étudiants. Pour résumer : c’est un type, il fait tomber des nanas amoureuses de lui, et il les laisse. Puis, il laisse tomber son père, qu’il aime. Voilà !
Si par contre une véritable histoire vous intéresse Minamata d’Andrew Levitas, étoile montante du cinéma américain, nous a plus autant par sa très belle facture cinématographique que par le jeu de Johnny Depp, qui révèle ici l’acteur qu’il peut être avec le personnage tourmenté de W. Eugene Smith. Photographe alcoolique mais génial, Smith fut envoyé en 1971 par le magazine Life pour documenter le scandale de Chiasso, compagnie de produits chimiques qui pendant 15 ans déversa du mercure dans une baie peuplée de pauvres pêcheurs qui dépendaient du poisson pour leur subsistance.
Bonheur du jour
Se retrouver pour une projection matinale dans la magnifique salle ovale du Zoo Palast, ses boiseries Art Déco, le rouge de ses velours et son splendide rideau de scène jaune beurre. En 2009 l’actrice Tilda Swinton, visiteuse de longue date de la Berlinale, parlait avec nostalgie du Zoo Palast du temps où c’était Berlin-Ouest qui accueillait le festival. On ne peut franchement pas lui en vouloir ! Ces anciennes salles, dans leur splendeur d’antan, célèbrent non seulement le cinéma en tant qu’art mais aussi et surtout en tant qu’expérience collective. Une autre chose que Netflix ne pourra jamais donner, et non des moindres.
Lendemain de veille
Entendre des Allemands discuter nonchalamment d’Alfred Bauer, premier directeur de la Berlinale, comme un Nazi, membre des Waffen-SS. Son nom a maintenant été rayé de l’Ours d’argent qui célébrait l’inventivité cinématographique, par ailleurs remporté 2013 par Denis Côté. Ce n’est pas que ce soit mal de discuter du passé trouble de l’Allemagne (au contraire), mais le ton a changé. L’accablement d’autrefois a laissé place à la résignation. En regard des attentats racistes de mercredi à Hanau, c’est extrêmement troublant.
22 février 2020
Une légère odeur d’autoritarisme flottait ce matin sur Potsdammer Platz alors que, contrairement aux habitudes prises depuis 18 ans, les journalistes ont dû faire la file à trois postes successifs avant de pouvoir enfin pénétrer dans l’immense salle du Berlinale Palast. Habitudes qui devront d’ailleurs changer du tout au tout l’année prochaine puisque les projections de presse se dérouleront dans un autre lieu, le Palast en faillite ayant été vendu… au Cirque du soleil !
Nous avons donc profité de cette belle salle confortable ce matin pour voir En avant le film d’animation que Dan Scalon (L’université des monstres) a tourné pour les studios Pixar. Si l’esthétique de ce road-movie très américain ne nous a plu qu’à moitié, reste que cette histoire de deux frères elfes partis à l’aventure pour retrouver la magie perdue de leur monde est l’occasion de beaux moments d’humour et de personnages féminins forts (et forts en gueule). Le film propose en même temps une fine critique de l’american way of life qui change agréablement des histoires de princesses congelées dans des châteaux de glace.
En Compétition ce matin, El Prófugo (L’intrus), film argentin de Natalia Meta sur une actrice et chanteuse hantée au quotidien par les personnes qui habitent ses mauvais rêves. C’est parfois longuet mais finement filmé, avec une cinématographie intéressante sur un scénario original et habilement structuré. Les acteurs y sont véridiques, surtout Erica Rivas, une actrice d’une grande intelligence dont nous saluons la maîtrise vocale.
De l’Argentine également, nous avons vu le film d’ouverture de la section Panorama, Las Mil y Una de la jeune Clarisa Navas. La réalisatrice a tourné toutes ses images dans sa ville natale, située assez loin de Buenos Aires. Est-ce la trop grande proximité avec son sujet qui a éliminé un regard critique au montage ? Toujours est-il que cette histoire d’une timide jeune fille qui s’interroge sur sa sexualité dans un barrió pauvre et violent où le sexe est l’un des seuls moyens d’expression, est d’un souverain ennui. Une absence de structure narrative donnant lieu à scènes répétitives, plombe l’excellente cinématographie de ce film mal en point. Il y avait pourtant un sujet en or et des acteurs dévoués à leur sujet. Dommage !
Bonheur du jour
Quand le relationniste de My Salinger Year à qui on vient d’offrir une barre de chocolat Suisse interrompt votre entrevue avec Philippe Falardeau pour faire entrer Sigourney Weaver vêtue d’un splendide tailleur-pantalon noir et rose, et que cette légende du cinéma est aussi belle, aussi désinvolte et aussi charmante qu’on puisse le rêver.
Lendemain de veille
Célébrer les 19 films venus du Brésil cette année et y découvrir une industrie cinématographique en pleine expansion, tout en apprenant que cette même industrie est présentement brutalement démantelée et censurée par le régime autoritaire de Jair Bolsonaro.
Rumeurs sur Potsdammer
Des murmures parlent de déplacer le centre de la Berlinale (présentement sur Potsdammer Platz) à l’Aréna Mercedes-Benz, dans le quartier Friedrichhain, ce qui constituerait un choix aventureux. Lieu d’événements sportifs importants, l’aréna contient 17 000 places au lieu des 1754 du Berlinale Palast, déjà l’une des plus grandes salles en Allemagne. Comment on pourrait y reloger le Festival reste mystérieux. Qui vivra verra !
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