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My Thesis Film: a thesis film by Erik Anderson

10 novembre 2018

 HORS-CHAMP
| Élie Castiel |

★★★★★

TOURNER N’EST PAS SIMPLEMENT UNE REVENDICTION
MORALE… MAIS AUSSI UN ACTE HUMANISTE

 

Erik Anderson

Au tout dernier Festival des films du monde dont les vraies victimes des médias et des décrocheurs ont été les cinéastes eux-mêmes et non pas l’administration déficiente (malgré une très bonne programmation), le film-fleuve d’Erik Anderson a reçu le Prix Norman McLaren du meilleur film étudiant canadien.

On m’avait donné comme mission la tâche de visionner de nouveau avec le public la version originale de trois heures et cinquante-trois minutes de My Thesis Film… pour, d’une part, m’assurer du bien fondé de mon choix, et ensuite mener un Q & R avec presque une moitié de salle remplie. Bizarrement, aucune longueur dans ce film, mais une production qui méritait haut la main de se situer parmi les quelques films canadiens programmés dans la section « Cinéma canadien » (c’est de ma faute, car j’ai choisi moi-même le film et j’aurais dû faire quelque chose sur ce point, qui à tordre quelques bras). Anderson m’a pardonné et je ne me sens aujourd’hui que plus serein. Mais bon, de nos jours, dans le monde des festivals, des choses étranges se passent quel que soit le côté où on se place… et qu’on ne vienne pas me dire le contraire.

Toujours est-il que My Thesis Film: a thesis film by Erik Anderson, titre on ne peut plus joyeusement auto-promotionnel s’avère un des plus beaux fleurons du cinéma national des quelques dernières années. Après tout, j’ai réussi à convaincre les hautes instances du FFM (vous comprenez ce que je veux dire) de programmer le film. Elles n’étaient pas tout à fait résolues. Mais…

Erik Anderson est tout à fait conscient de son titre ; il l’assume avec une grâce aussi naïve qu’incomparable, parfois même empreinte d’une condescendance jouissive qu’auraient nécessité plusieurs cinéastes pour parfaire leur(s) projet(s) et parcours. C’est la loi du milieu, car tourner, c’est investir son corps, son temps, parfois même son argent, son âme et plus que tout tenter par tous les moyens de contourner adroitement les risques.

Étudiant à la York University de Toronto, Anderson ne jure que par les images en mouvements et cela se voit dans ses gestes, sa démarche, sa façon d’aborder ses interlocuteurs. Et le film est la somme de sa connaissance du cinéma et de la vie tout simplement.

Erik Anderson, première rangée, à gauche / © 1st of july films

Est-ce un film-maudit ? Il faut comprendre que le jeune Anderson n’a pas eu de pot avec quelques autres festivals, dont le Saint-TIFF et un autre événement en Australie où les responsables ne se sont pas donné la peine de le visionner. De quoi s’agit-il alors ?

À l’heure des mouvements #MoiAussi (#MeToo) de toutes tendances, Anderson questionne, conscient des réactions que le film peut susciter, les gender studies qui pilulent dans les universités depuis quelques années. Oui, des « études sur les genres » qui, souvent, divisent plus qu’ils n’unissent. Nous sommes parvenus, semble dire Anderson, à être témoins d’une époque totalement polarisée qui confronte les uns contre les autres, les unes contre les uns, les uns contre les uns, un terrain d’affrontements sociaux minés par l’égocentrisme et les malentendus.

Tous sont à blâmer, autant les hommes que les femmes. Et l’espace universitaire est un terreau sensible de tous ces possibles, mais aussi un endroit des impossibles protégé par les lois de la connaissance supérieure.

Anderson est clair à ce sujet. Son film est également un essai sur l’amitié, la famille, les débats, les intelligents et les stériles, les pertes de temps, le peu de temps accordé aux silences.

Un film qui remplace de façon brillante son projet initial
cinématographique, sur le Premier volet, À propos de l’État de
La République de Platon. Confirmant que les essais, dialogues
philosophiques et idées politiques de la Grèce antique ont
été foudroyés et galvaudés par le temps. Ne nous
leurrons pas, car Erik Anderson est un grand humaniste.

Tout au cours de presque quatre courtes heures, nous sommes les témoins d’une jeunesse (quoi quelques personnages plus âgés) déambulant dans leurs pensées parfois claires, parfois contradictoires, toujours à la défensive. Le verbe n’a jamais été aussi désorientant et plus que tout, impulsif.

Erik Anderson est présent. Et lorsque son champ/contrechamp entre lui et une jeune collègue étudiante devient le débat sur la politique nébuleuse des sexes, cela crée des étincelles, et bien plus que ça, opère sur plusieurs angles : comment filmer cette séquence inoubliable, comment encenser ou encore refuser le plan-séquence…

Quoi qu’il en soit, My Thesis Film: a thesis film by Erik Anderson prose de véritables enjeux sur l’acte de la création cinématographique, secoue les cinéastes même chevronnés et mine de rien, pousse le spectateur à devenir complice autant de ce qui se passe à l’écran que du cinéaste lui-même.

Plans fixes, à peine quelques mouvements d’appareil, hommage au cinéma des premiers temps, celui du 16 et du 35, l’opus d’Anderson est aussi un cri de coeur du cinéaste. Un film qui remplace de façon brillane son projet initial cinématographique sur le Premier volet, À propos de l’État de La République de Platon. Confirmant que les essais, dialogues philosophiques et idées politiques de la Grèce antique ont été foudroyés et galvaudés par le temps. Ne nous leurrons pas, car Erik Anderson est un grand humaniste.

À l’heure des Cinéma du Musée, Cinéma du Parc et Cinéma Moderne, un film comme My Thesis Film: a film by Erik Anderson mérite au moins quelques représentations. Le contraire, serait de rendre injustice au cinéma canadien.

Cinéastes québécois… Vos confrères (et consœurs) canadiens ont aussi du talent !

Origine
Canada

Année : 2018 —Durée : 3 h 53

Réal.
Erik Anderson

Scén. / Image / Mont.
Erik Anderson

Int.
Erik Anderson, Amnon Buchbinder
Shannon Currie, Allison Duke
Kyle Gatehouse, Alain Goulem
Tristan D. Lulla, Shaista Latif
Mikel Guillen, Franco Nguyen

Prod.(s)
Erik Anderson

Contact
1st of july films

MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [Entre-deux-cotes]

 

 

 

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