En salle

Téhéran tabou

15 mars 2018

| PRIMEUR |
Semaine du 16 au 22 mars 2018

RÉSUMÉ SUCCINCT
Téhéran, capitale de l’Iran. Pari se prostitue dans l’espoir d’offrir une vie meilleure à son enfant handicapé. Sara, jeune mariée, rêve de quitter son rôle de femme au foyer pour devenir institutrice. Babak veut vivre de sa musique mais une aventure d’un soir avec Donya contrarie ses projets.

COUP DE CŒUR
Élie Castiel

♥ ♥ ♥ ♥ ½

LES LIAISONS DANGEREUSES

Bien saisir des codes de certaines cultures non-occidentales, et dans le cas qui nous concerne, dans un pays dominé par le pouvoir islamiste, aide à mieux comprendre ce qui se cache derrière les films de ces pays, même s’ils sont tournés, comme dans ce cas, à l’extérieur.

Téhéran, ville polluée, magnifique, tentaculaire, moderne selon les lieux, prise entre tradition extrême et modernité, où les nuits secrètes sont plus chaudes que les jours, où les interdits ne cachent pas leurs indifférences lorsqu’ils sont tus et n’affichent pas leur indépendance. Adultère, perte de la virginité avant le mariage, condition féminine, avortement, homosexualité, pouvoir religieux. Autant de préoccupations qui alimentent le premier long métrage d’un exilé iranien, Ali Soozandeh, qui a tourné son film en Allemagne selon une approche de l’animation en rotoscopie, technique d’autant plus efficace qu’elle permet aux vrais acteurs de porter des masques perméables qui leur permet tout de même d’exister.

C’est extrême, mais cela a à voir avec la mentalité iranienne, un orientalisme qui se confirme dans les pays à majorité musulmane et où les codes de la socialisation frôlent le plus souvent un côté aussi permissif que tragique. L’auteur de ces lignes parle en connaissance de cause pour avoir vécu dans un pays musulman, le Maroc, où la judaïcité se vivait dans un mélange d’européanisation et d’orientalisation. Double ou sans doute triple appartenance à des cultures qui aident à mieux capter l’universalité des choses. Soozandeh est désormais probablement allemand et dans Téhéran tabou, il peut ainsi se permettre d’avoir recours à des transgressions de l’ordre sexuel, politique et social qui débouchent vers une critique de l’hypocrisie et en quelque sorte, mais subtilement, de la religion.

En fait, le sexe, qu’il s’agisse de l’hétérosexuel (notamment avant le mariage) ou de l’homosexuel (carrément à proscrire), est peut-être interdit dans la plupart de ces pays, pour ne pas dire tous ces pays, mais se pratique beaucoup plus qu’en Occident, justement par nombreux de ceux qui l’interdisent ; du moment où on n’est pas pris et on a l’intelligence de bien « fermer sa gueule », le problème n’existe pas. C’est sans aucun doute le lot des religions orientalesMais ce qui étonne dans Téhéran tabou, c’est bel et bien la forme narrative. Indépendamment de son approche chorale, bien évidente, Soozandeh multiplie les codes du téléroman des pays arabes et place le mélodrame dans des sphères, certes connues, mais agrémentées ici d’un rythme nouveau, aérien, bouleversant, basculant certaines règles, soulevant chez le spectateur et le critique averti, une appréciation sans bornes.Mais le mal n’est pas seulement de l’ordre du religieux. Il y a même, chez ces jeunes hommes occidentalisés une part de responsabilité due au machisme ambiant, à une vision de la femme encore ancrée dans la cervelle. Comme ces adolescents qui épient, par le biais d’une fenêtre dans le toit de l’édifice, le bain que prend une jeune femme, et qu’il s’agit de la sœur de l’un d’eux, tout en soulignant le changement de chaîne du grand-père vers un canal porno, zappée au bon moment pour suivre le discours moralisateur d’un ayatollah de service.

En lui accordant 4½ étoiles, c’est reconnaître les
qualités  intrinsèques du projet et plus que tout,
comprendre une vision du monde qui, forcément,  nous
échappe, mais qu’il faut avoir le courage de partager.
Subliminal.

Mais les femmes, notamment celles d’une autre génération, acceptent cette différence entre les sexes, résultat d’une économie sociale et politique patriarcale. Les plus jeunes se rebellent intérieurement comme le film le démontre, notamment en donnant à la prostituée le soin de les aider dans leurs causes. Sur ce plan, Soozandeh lui donne un rôle d’héroïne. Et ce n’est pas par hasard si son jeune fils, Elias, la douzaine, est muet. Il regarde les gens qui l’entourent et les spectateurs avec une expression du visage qui traduit mille mots : le vent tourne. Les derniers soubresauts dans ce pays nous prouvent que le cinéaste et le petit Elias ont raison.

Si sur le plan politique, le régime gouvernemental iranien a de quoi décontenancer, mais le cinéma persan, avec par exemple, le cinéma israélien contemporain, demeure parmi les plus beaux et les plus lucides du monde. Quel beau titre de film! En lui accordant 4½ étoiles, c’est reconnaître les qualités intrinsèques du projet et plus que tout, comprendre une vision du monde qui, forcément, nous échappe, mais qu’il faut avoir le courage partager. Subliminal.

Sortie : vendredi 16 mars
V.o. : farsi ; s.-t.f. & s.-t.a.
Teheran tabu / Tehran Taboo

Réalisation
Ali Soozandeh

Genre : Animation Origine : Allemagne / Autriche – Année : 2016 – Durée : 1 h 37 – Dist. : A-Z Films.

Horaires & info.
@ Cinéma BeaubienCinéma du ParcCineplex

Classement
Interdit aux moins de 13 ans

MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon. ★★ Moyen. Mauvais½ [Entre-deux-cotes]

2024 © SÉQUENCES - La revue de cinéma - Tous droits réservés.