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Le joker

12 novembre 2016

THÉÂTRE /
CRITIQUE
★★★ ½
Texte : Élie Castiel

L’ÊTRE ET LE PARAÎTRE

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PHOTO : © Julie Rivard et Le Petit Russe

Larry Tremblay pose la question existentielle du possible équilibre entre le réel et « ce qu’il pourrait être » (sic), entre une idée de la représentation théâtrale et son rapport au texte, entre les liens qu’entretiennent les comédiens avec le public.

On assiste à un jeu de miroir orgiaquement paranoïque orchestré par les décors sidérants de Pierre-Etienne Locas. En haut, une rue, la terre ; en bas, l’au-delà, le mort-vivant, réel, rassemblant des morceaux de vie qui, par magie, se retrouvent plus haut, pour redescendre dans le néant.

Le texte de Larry Tremblay est incisif, cruel, et ne permet aucune concession à l’humain. Il existe un humour macabre tranchant, dépourvu de morale. Et puis des comédiens qui, progressivement, changent de peau à mesure que la mort rôde autour d’eux. Pour devenir des zombies, des morts en vie, faibles s’ils n’acceptent pas la finitude en face ; plus courageux s’ils s’accommodent aux loins du destin.

La destinée, pour Tremblay, c’est l’acceptation d’un monde où l’éternité n’est qu’une raillerie, une promesse non tenue, un dialogue de sourds. L’auteur est privilégié par la présence d’Eric Jean qui assure une mise en scène aussi turbulente qu’indocile, libre, agitée, en marge de celle du théâtre traditionnel.

Eric Jean réussit une mise en scène fantomatique qui situe
l’Homme dans le royaume du mythe. Car la Terre n’est
plus uniforme ; elle appartient désormais aux deux extrêmes
qui ne seront jamais séparés : la vie et son achèvement.

Nous revenons sur les effets miroir car ils ne sont, ici, que les reflets d’une existence provisoire qui se croit impérissable. La vie et la mort se côtoient sans cesse dans ce théâtre de l’absurde et de la folie. On essaie de comprendre une certaine logique sur ce que débitent les comédiens. Mais cela importe peu car très vite, nous prenons place avec eux dans cette nef de fous, une fable sur la rage d’aimer et de vivre.

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PHOTO : © Julie Rivard et Le Petit Russe

Pièce circassienne également, car plusieurs des éléments du cirque des horreurs s’y glissent pour encadrer le tout, comme cette tête sans corps (méconnaissable et surprenante Pascale Montpetit, dans la gestuelle faciale atteint des moments de pur bonheur dans l’art d’interprétation). Et d’autres effets que nous vous invitons à découvrir.

Au gré du hasard, nous avons l’impression que les personnages se dédoublent, nous donnant des frissons dans le dos. Eric Jean réussit une mise en scène fantomatique qui situe l’Homme dans le royaume du mythe. Car la Terre n’est plus uniforume ; elle appartient désormais aux deux extrêmes qui ne seront jamais séparés : la vie et son achèvement. Larry Tremblay, l’aède des mots, et Eric Jean, le poète de la scène, nous offrent un spectacle où les ombres ne paraissent plus des territoires gris. Mais sur terre, néanmoins, les êtres resteront damnés, une réalité irréversible de la condition humaine.

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Texte : Larry Tremblay Mise en scène : Eric Jean – Scénographie : Pierre-Etienne Locas – Costumes : Cynthia St-Gelais – Éclairages : Martin Sirois – Musique : Laurier Rajotte Distribution  : Louise Cardinal, Marilyn Castonguay, Normand Daneau, Pascale Montpetit, André Robillard – Production : Théâtre de Quat’Sous | Durée : 1 h 20 (sans entracte) – Représentations : Jusqu’au  2 décembre  2016 – Quat’Sous.

MISE AUX POINTS
★★★★★ (Exceptionnel). ★★★★ (Très Bon). ★★★ (Bon). ★★ (Moyen). (Mauvais). ½ [Entre-deux-cotes]

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