En couverture

La campagne

8 octobre 2016

THÉÂTRE
★★★ ½
Texte : Élie Castiel

MENSONGES ET CHUCHOTEMENTS

Voilà une pièce hors du commun, atypique, qui dévoile son processus de création tout a long du périple d’un couple en décomposition ou pourquoi pas, recompostion. Ce n’est pas si clair dans le texte du Britannique Martin Crimp, à l’écriture intentionnellement indécise, s’inscrivant en (dés)harmonie progressive avec les temps aussi peu lucides d’aujourd’hui.

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Victoria Diamond et Justin Laramée (PHOTO : © Matthew Fournier)

D’où un essai théâtral qui agresse l’âme, refuse les sentiments, s’en fiche de la physicalié des êtres et, sans s’annoncer, situe les personnages dans une sorte de no man’s land intradiégétique car ces trois personnages en quête d’auteur, l’ont justement trouvé en Crimp, mais aussi en Jérémie Niel, le jeune metteur en scène farouchement libre, absent de l’espace scénique, mais si présent par sa mise en situation, entre la léthargie (silences creux, chuchotements insupportables, éclairages apocalyptiques, vidéo accompagnatrice changeant de couleurs de fond au cours du spectacle), et la vie tout court s’étalant devant nos yeux. Et malgré les nombreux obstacles, un soupçon d’espoir, certes cynique et pernicieux, mais qui se voit en filigrane comme s’il voulait se dérober pour ne pas être trop évident ou sans doute prometteur.

… la pièce de Crimp fustige délibérement la logique,
refusant son droit de cité. L’auteur aime les difficultés, car
c’est à travers elles que la lumière finira par envahir l’espace
vital. Et c’est aussi à partir de cela que son théâtre  repositionne
le dramatique dans une nouvelle sphère de compréhension
.

Delphine Bienvenu passe d’un personnage d’épouse meurtrie par la présence de l’autre femme à un être éclairé (ou est-ce bien le cas ?) dans une finale aussi sombre que fermement inextricable. Justin Laramée tient bon la route, archétype d’un certain type d’homme hétéro d’aujourd’hui. Bonne note pour son travail. Et Victoria Diamond, dont l’accent passablement étranger (double intruse) conjugue le mot adultère avec son alter ego, « la déraison a tous les droits ».

Le théâtre britannique contemporain semble raffoler de ces mises en situation problématiques auxquelles fait face l’individu occidental d’aujourd’hui, perdu dans son élement, ou mieux il faudrait dire son espace invivable. Certes, ingérable en rapport à la vie à deux. Le couple est en déroute pour de nombreuses raisons, mais La campagne ne se donne pas la peine de trouver des solutions.

Au contraire, la pièce de Crimp fustige délibérement la logique, refusant son droit de cité. L’auteur aime les difficultés, car c’est à travers elles que la lumière finira par envahir l’espace vital. Et c’est aussi à partir de cela que son théâtre repositionne le dramatique dans une nouvelle sphère de compréhension. Cet espace postmoderne s’impose de plus en plus parmi les jeunes intellectuels, face à un monde où le social, en grande partie le politique, et le culturel sont en grandes transformations.

Dans ce cartésianisme qui prêche le néant et où la métaphysique environnementale se déploie dans le courant de la pensée et du comportement, l’individu ne peut que suivre ou périr. Sur ce point, La campagne réussit admirablement bien son pari.

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Texte : Martin Crimp – Traduction : Guillaume Corbeil, à partir de la pièce The Country – Mise en scène : Jérémie Niel – Concept vidéo : Jérémie Battaglia – Conseiller à la scénographie : Simon Guilbault – Costumes : Fruzsina Lanyl – Éclairages  : Régis Guyonnet – Conception sonore : Francis Rossignol – Comédiens  : Delphine Bienvenu (Corinne), Victoria Diamond (Rebecca), Justin Laramée (Richard) – Production : La Veillée / Pétrus | Durée : 1 h 30 environ (sans entracte) – Représentations : Jusqu’au 22 octobre 2016Prospero.

MISE AUX POINTS
★★★★★ (Exceptionnel). ★★★★ (Très Bon). ★★★ (Bon). ★★ (Moyen). (Mauvais). ½ [Entre-deux-cotes]

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