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L’Excentris ferme provisoirement ses portes

27 novembre 2015

LA SAGA D’UN COMPLEXE DE
SALLES INJUSTEMENT MALMENÉ

Élie Castiel
Rédacteur en chef

Le 24 novembre dernier, un communiqué de presse du complexe cinématographique Excentris nous apprenait sa fermeture. Première réaction : le choc. Quelques minutes plus tard, une contre-réaction selon laquelle ce n’est pas la première fois que ça arrive. Le lendemain, des messages du milieu et des textes encourageants. Pour les quotidiens, il est tout à fait normal de réagir sur le coup. Pour ceux qui peuvent se permettre d’attendre un peu, ne serait-ce que 48 ou 72 heures tout au plus, tant mieux. Car les réflexes immédiats sont en général le résultat d’un heurt émotionnel qui n’a rien à voir avec la réalité.

Disons-le sans ambages, avec des mots simples et directs. Le problème de l’Excentris c’est le manque d’e.x.c.l.u.s.i.v.i.t.é.s de haut calibre, c’est-à-dire du cinéma d’auteur (international et québécois), mission originale de ses fondateurs. En matière de fictions pointues ou de documentaires éclectiques, les programmateurs, hormis de rarissimes exceptions, n’ont jamais fait défaut. Mais certains de ces films, notamment les fictions, étaient programmés ailleurs.

Excentris

Faut-il blâmer les distributeurs ?

Peut-être bien que oui parce que bon nombre de productions susceptibles d’attirer un auditoire autre que celui grand public ne sont pas achetés. Leur raison : ils finiront par se casser la gueule et personne ne veut prendre des risques. C’est tout à fait logique. Alors où est le problème ? Là où le bât blesse se trouve dans le très grand nombre de festivals de cinéma à Montréal. Il y en a trop, trop, trop. Et lorsqu’un film important sert de rampe de lancement dans un de ces événements, il s’avère plutôt être une arme (sournoise) d’insuccès à sa sortie, sans oublier que plusieurs de ces films ne sortent que des mois, voire même un an plus tard après leur sortie festivalière, tuant ainsi le bouche à oreille (ce fameux et incontournable buzz) et sans oublier qu’ils sont programmés parfois dans plusieurs salles.

Sur ce point, les cinéphiles montréalais ont malheureusement pris la mauvaise habitude de voir les films qu’ils attendent avec impatience dans des manifestations cinématographiques. Avouons que nous-mêmes, les critiques (notamment ceux oeuvrant dans les mensuels ou bimestriels) le faisons pour nous situer dans l’actualité lorsque ces films attendus finiront par sortir. Mais une fois ces produits à l’affiche, sauf dans de rares exceptions, le public n’est plus là. Il est restreint, avalé auparavant par la fièvre festivalite.

Mais dans la saga Excentris, il y a aussi des questions économiques complexes et surtout internes sur lesquelles il nous est impossible de légiférer. Ces questions, nous les laissons aux experts.

Je suis à toi

Je suis à toi, de David Lambert, une des récentes exclusivités à Excentris

Et une chose est certaine : l’Excentris n’a jamais agi de mauvaise foi, telle n’est pas la question. La solution est de faire en sorte que la programmation ne comprenne que des exclusivités, et non les moindres, s’appuyant uniquement sur des films pointus auxquels s’attendent les cinéphiles. Et peut-être bien qu’une autre solution, plus complexe celle-ci, est d’octroyer à ce complexe un statut de festival, donnant aux programmateurs la possibilité d’excercer leur plein pouvoir. En quelque sorte, ne plus avoir recours aux intermédiaires, approchant directement les producteurs. Bref, devenir une sorte de distributeur, ce qui n’empêcherait pas les principaux intéressés d’accepter des offres de distributeurs existants.

Le lancement par Excentris de la plateforme en ligne était-elle une bonne idée ? D’une part, elle a dû ramener des profits, certes, mais de l’autre, elle n’a fait qu’encourager les cinéphiles à rester chez eux.

Est c’est là une autre source du problème : comment faire revenir les amoureux des images en mouvement au cinéma ? Mis à part les festivals, ceux-ci préfèrent visionner de plus en plus leurs films favoris à la maison, en groupe (pour animer les débats), seuls (pour jouir de l’expérience) ou en famille (pour faire découvrir aux enfants ce que le 7e art peut offrir de meilleur).

En effet, la saga Excentris est aussi complexe que surréaliste. Pour notre part, nous souhaitons une deuxième renaissance de ce complexe avant-gardiste, mais dans des conditions extrêmes de fonctionnement. Une fois de plus, l’exclusivité est de rigueur pour la survie de cet édifice indispensable. Si l’Excentris renaît, ce sera sans doute sa dernière chance.

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