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Pierre Falardeau | 1946-2009

26 septembre 2009

Est-ce déjà l’heure?

Sami Gnaba

Quelle semaine tragique au sein de la communauté artistique, et spécialement pour l’équipe du Webzine ICI! Après Nelly Arcan, décédée jeudi dans des circonstances encore nébuleuses, on apprenait aujourd’hui, avec grandes stupeur et tristesse, la mort de Pierre Falardeau, cinéaste emblématique du Québec, reconverti depuis quelques années en journaliste.

Qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, Falardeau aura été fidèle à sa réputation d’engagé et de polémiste jusqu`à la toute fin. Ne laissant personne indifférent. Un artiste de belles contradictions surtout, dont les propos – tantôt incisifs, tantôt aigris, voire hargneux, ou encore passionnés – pouvaient autant nous émouvoir que nous choquer. À coups de provocation bien mesurés quoi! Mais, voilà, contrairement à plusieurs, il en assumait pleinement l’étendue. Un peu surpris par la nouvelle de sa mort, ce matin, je me suis mis à chercher en vain ce texte touchant écrit aux alentours de Mars dernier pour le compte du journal Ici,  et dans lequel Falardeau dépoussiérait avec un enthousiasme presque juvénile les trésors de notre patrimoine artistique. Dans l’instant d’une chronique, le poète magnifiait avec intelligence et verve chaque petit détail (Ô la sincérité du détail propre au cinéaste!) transparaissant d’un canevas de Riopelle ou d’une image d’un film de Perrault. Pour une rare occasion, l’homme se mettait à nu, dans toute sa sensibilité. On y ressentait toute l’émotion et l’authenticité distillées dans le geste.

En ce qui a trait à sa propre œuvre, elle n’est pas sans failles. Je vous le consens. Néanmoins, elle est également courageuse, ambitieuse, infiniment stimulante. Elle est pour ainsi dire l’empreinte d’un homme et d’un artiste qui faisait bande à part et qui manifestement n’avait pas de comptes à rendre à une industrie étouffée dans une certaine pâleur d’(in)originalité et de conformisme. Quoi de plus stimulant qu’un artiste à la détermination implacable,  prêt à s’élever à la hauteur de ses ambitions, au grand risque de tomber à plat. Falardeau l’a exercé ce droit de tout risquer pour son art, des fois d’une bien vaillante façon (15 Février 1839, Octobre, Elvis Gratton), d’autres moins brillamment (les deux derniers Elvis) ou encore malhonnêtement (Le Temps des bouffons). Tel était l’homme, tel était son art…d’une belle contradiction. L’homme qui se défendait d’être un intellectuel, mais qui en présentait tous les tics, un cinéaste s’attardant à examiner les symptômes néfastes de la convergence dans notre société –comme on le verra dans la troisième Elvis, une parodie aussi discutable qu’oubliable –  pour ensuite aller travailler au sein de la machine Quebecor et le journal Ici… Quoiqu’il en soit,  Il nous faudra un certain temps avant de mesurer pleinement l’ampleur des activités de Falardeau.

Certes, ces dernières années, on l’aura senti isolé, essoufflé peut-être. Un peu comme si la force de ses propres convictions avait joué contre lui. Qu’on pense à cette tirade avec Martineau à l’émission des francs-tireurs durant laquelle il condamnait très méchamment le travail fait par Érik Canuel sur Le Dernier Tunnel. Et comment il entendait très fermement, et par tous les moyens possibles, de le refaire. Plus récemment encore, il y aura eu le cas « vengeance », texte malhonnête et hargneux lancé envers le cinéaste Denis Côté… Tant de choses donc à dire sur l’homme, sur l’artiste et sur ce souverainiste convaincu qui aura usé ses spectateurs, ses critiques, ses lecteurs et ses détracteurs par ses contradictions, par l’inégalité de ses films aussi… Justement, n’est-ce pas là qu’on mesure les marques d’un vrai artiste, d’un cinéaste essentiellement, par son droit à l’inégalité?

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