9 mars 2017
RÉSUMÉ SUCCINCT
Simon n’a que dix-sept ans lorsqu’il est victime d’un grave accident de la route. Première informée, sa mère se précipite à l’hôpital, anéantie par la nouvelle. Sur place, une équipe médicale s’affaire à tenter de sauver l’adolescent. Quand son père arrive sur les lieux, Simon est déjà en état de mort cérébrale.
Dans Suzanne (2013), son premier long métrage, Katell Quillévéré nous montrait une carte de visite prometteuse tant la limpidité de la mise en scène, la direction d’acteurs et le contexte social respiraient, cinématographiquement parlant, un air de liberté malgré la teneur grave du propos. En 2016, elle s’attarde à un thème plus tragique, la perte d’un enfant, sans rien ajouter de plus, pour que vous découvriez que le cinéma d’auteur peut aussi être accessible.
D’une part, comme dans la plupart des films-cinéastes, comme c’est le cas ici, l’esthétique est d’une rigueur remarquable. Autant les cadrages, les plans, leur contenu, les transitions entre diverses histoires sont formés d’ellipses remarquables, de ces rapports inutiles qui permettent aux spectateurs de réfléchir et de mieux saisir les moments.
Car Quillévéré ne suit pas une recette, mais sa propre recette ; celle d’un cinéma qui ose, de nos jours, parler « cinéma » à voix haute, qui l’assume avec une détermination proche de la foi, comme si le geste filmique atteignait un état de mysticisme transparent. L’étrange et paradoxalement majestueux, c’est qu’à partir d’un sujet gravissime, les couleurs, en général, sont imprégnés de vie, baignant les personnages comme s’il fallait, ainsi, les consoler de leur état.
Simple, précis, magnifiquement incarné par des comédiens irréprochables, Réparer les vivants est courageusement baptisé d’un titre aux mille et une interprétations. À chacun des spectateurs d’en faire la sienne. Car c’est à l’intelligence que la jeune cinéaste s’adresse. Cette complicité entre une (la sienne) et plusieurs individualités (le regard des spectateurs) la situe dans un rapport privilégié qui a un lien avec la vie.
Dommage que dans quelques parties, certes furtives, on insunie un ou deux détails de la vie de quelques personnages qui ne mènent absolument à rien. Côté national, la présence d’Anne Dorval s’avère juste et justifiée, même si on peut penser que les hasards de la coproduction y sont pour quelque chose. Encore une fois, comme nous l’avons mentionné plusieurs fois, qui a dit que le cinéma hexagonal est fini ? Ces dernières années, il prouve que c’est tout à fait le contraire. Et ce qui nous réjouit davantage, c’est bel est bien que, suivant une tradition musicale, théâtrale et littéraire, c’est un cinéma qui ne parle essentiellement que de l’humain.
Car lorsque les médecins, infirmières et autres travailleurs des hôpitaux ne sont plus des faiseurs de miracles, mais des gens de tous les jours, ça ne peut que nous emballer. Et qui a dit aussi que la France n’est pas un pays inclusif. Regardez bien les visages qu’on nous montre et les noms au générique. Races, couleurs et pays d’origines confondus font partie de la mouvance nationale. Un exemple que devrait suivre le cinéma québécois, et un peu moins, le théâtre.
Genre : DRAME – Origine : France – Année : 2016 – Durée : 1 h 44 – Réal. : Katell Quillévéré – Int. : Gabin Verdet, Tahar Rahim, Emmanuelle Seigner, Anne Dorval, Bouli Lanners, Kool Shen – Dist./Contact : Axia.
Horaires : @ Cinéma Beaubien – Cineplex
CLASSEMENT
Tout public
MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon. ★★ Moyen. ★ Mauvais. ½ [Entre-deux-cotes] – LES COTES REFLÈTENT UNIQUEMENT L’AVIS DES SIGNATAIRES.
RÉSUMÉ SUCCINCT
En 2014, à la veille du référendum sur l’indépendance de l’Écosse, Simon Beaudry, artiste visuel québécois, s’envole pour Édimbourg pour partager la démarche politique des partisans du Yes. Fier de son identité québécoise, cet indépendantiste convaincu profite de l’occasion pour transposer sa pensée créatrice à travers des œuvres particulières dans différents endroits publics du pays.
Un sentiment d’étrangeté émane de ce documentaire qui, à l’instar de l’artiste Simon Beaudry, l’un de ses protagonistes, nous semble être un peu déboussolé par la multiplicité de ses thématiques. Ni tout à fait road movie personnel, pas entièrement essai politique, le film d’Éric Piccoli et Félix Rose entremêle art et engagement social dans une approche plus globale portant sur l’identité des peuples québécois ou écossais, tout en proposant une vision du doute du créateur s’interrogeant sur la force de ses œuvres à véhiculer le message. En parallèle aux entrevues effectuées chez des habitants d’origines et de conditions variées, les réalisateurs exposent le rêve d’indépendance des Écossais en le confrontant à celui de Simon Beaudry, dont la pratique d’un art éphémère investissant l’espace public s’inscrit parfaitement dans un contexte de prise de parole citoyenne.
Les auteurs tentent de définir un parallèle entre les situations géopolitiques du Québec et de l’Écosse, deux pays aux caractéristiques passées et présentes pourtant peu comparables. Mais au fil du voyage, dont les scènes les plus marquantes sont filmées aux îles Shetland, le discours se dilue dans des objectifs divers et finit par manquer d’idée maîtresse. La proposition, aux cadrages particulièrement soignés, est finalement trop diluée pour être véritablement convaincante.
Genre : DOCUMENTAIRE – Origine : Canada [Québec] – Année : 2017 – Durée : 1 h 20 – Réal. : Eric Piccoli, Félix Rose – Dist./Contact : Babel Films.
Horaires : @ Cinéma du Parc
CLASSEMENT
Tout public
MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon. ★★ Moyen. ★ Mauvais. ½ [Entre-deux-cotes] – LES COTES REFLÈTENT UNIQUEMENT L’AVIS DES SIGNATAIRES.
7 mars 2017
Trois couples conceptuels occupent une place particulièrement centrale dans l’œuvre de Jacques Rancière : l’égalité et l’émancipation, le dissensus et la politique, enfin l’éveil des consciences et la puissance d’agir.
Tout d’abord, le premier couple. Moins une thèse philosophique qu’une présupposition théorique censée avoir des conséquences pratiques, l’égalité « ne signifie pas l’égale valeur de toutes les manifestations de l’intelligence mais l’égalité à soi de l’intelligence dans toutes ses manifestations. »1 En affirmant que tous et chacun sont égaux, Rancière fait comprendre que ce n’est qu’à condition de supposer possible pour les exploités de s’affranchir en commun des griffes du capitalisme qu’on incite à faire concrètement l’expérience de l’émancipation. Cette présupposition s’accompagne de réflexions sur l’ordre modal. En accord avec l’idée selon laquelle la possibilité est plus fondamentale que la nécessité, idée qu’on rencontrait déjà en maints contextes chez Heidegger, Adorno, Sartre et Deleuze (qui préférait toutefois le concept de virtuel à celui de possible), Rancière tire à boulets rouges sur toute forme de réification faisant obstacle au devenir-autre des corps sociaux.
Ensuite, le second couple conceptuel. Si Rancière valorise largement le dissensus, c’est moins dans l’espoir d’alimenter indéfiniment les querelles intestines que pour insister sur l’importance des discours et pratiques destinés à ébranler l’hégémonie capitaliste. Opposant la « police » à la « politique », il associe grosso modo la première aux dispositifs qui constituent et maintiennent l’ordre établi, puis la seconde aux mesures concrètes capables de façonner et fissurer cet ordre. Mais comment mener à bien le processus d’émancipation ? C’est à cette question que répond le philosophe lorsqu’il s’attarde sur l’éveil des consciences et la puissance d’agir.
Jacques Rancière
2025 © SÉQUENCES - La revue de cinéma - Tous droits réservés.