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Pour retrouver les décors réels du commissaire Maigret

29 avril 2021

Yves Laberge

Grand spécialiste de Simenon — auquel il a consacré cinq livres (!) —, Michel Carly nous invite à une visite particulière de Paris en indiquant des dizaines de lieux réels où se déroulaient les enquêtes du commissaire Maigret, adaptées des centaines de fois au petit et au grand écran. Romancier prolifique, Georges Simenon (1903-1989) s’inspirait de son environnement immédiat — le Paris de sa jeunesse — pour y ancrer ses récits policiers. Méticuleusement, Michel Carly effectue le pont entre le réel et l’imaginaire dans l’univers de Simenon en signalant les lieux de tournage, ou encore tel restaurant parisien, tel hôtel chic — ou tel autre plus sordide — ayant servi de toile de fond pour un roman ou un long métrage comme Maigret tend un piège (1958), de Jean Delannoy (p. 37), dans lequel le bureau du célèbre commissaire avait été reconstitué d’après les descriptions très détaillées écrites par Simenon.

Certains lieux mythiques, mille fois filmés, sont ici décrits, comme le magnifique restaurant La Coupole, au 102, boulevard du Montparnasse (pp. 66-69). Au moins trois versions de La tête d’un homme s’y déroulent, dont celle tournée avec l’acteur Jean Richard, qui personnifia Maigret des dizaines de fois. Michel Carly suggère de s’y rendre pour y lire quelques pages de l’œuvre et s’imprégner de cet endroit légendaire, naguère fréquenté par Simenon et tant d’autres écrivains, cinéastes et artistes de renom. Et en outre, on y dîne délicieusement.

Ailleurs dans ces Traversées de Paris, on signale le luxueux Hôtel Claridge, près des Champs Élysées, où furent tournées plusieurs séquences du long métrage Stavisky (1974) d’Alain Resnais (p. 110), et dont l’affaire avait beaucoup intéressé Simenon à ses débuts (sans qu’il ne lui consacrât un roman), durant les années 1930. À propos du célèbre Claridge, Michel Carly commentera : « Simenon y descendra fréquemment » (p. 109). Tout comme le couple Jean Gabin et Marlène Dietrich, qui y résidait en 1945 (p. 110). Les photographies anciennes ont été judicieusement choisies : on croirait reconnaître le jeune Simenon vêtu d’un imperméable devant la façade du Modern Hôtel, sis dans une rue sombre (p. 97). On évoque d’ailleurs certains lieux parisiens où Simenon a logé (p. 85). Plus loin, Michel Carly nous aide à retrouver le restaurant chic fréquenté entre autres par Simenon, le commissaire Maigret (et son épouse), mais aussi par Jean Gabin et Brigitte Bardot dans En cas de malheur, réalisé par Claude Autant-Lara en 1958 (et adapté du roman de Simenon); autrefois nommé Chez Manière, mais rebaptisé Le Cépage montmartrois (p. 127). Il fallait le savoir pour pouvoir retrouver ce lieu célébrissime que l’on aurait pu croire disparu, mais plutôt renommé.

Anecdotique? Plutôt une contribution utile, bien documentée et précise pour mieux comprendre cette mythologie populaire liée au Paris d’après-guerre; on peut visualiser, imaginer et parfois reconnaître. Mais à plusieurs milliers de kilomètres de distance et après plusieurs décennies, à quoi peuvent servir ces « 120 lieux parisiens du commissaire »? Les raisons seront multiples. Pour le lecteur québécois, ce livre pourrait un jour lui servir de guide de promenades dans les rues parisiennes afin d’y retrouver l’esprit de lieux plus ou moins célèbres, pour saisir l’imaginaire des dizaines d’œuvres de Simenon ancrées dans le Paris du milieu du XXe siècle. Ou encore pour « entrer dans le film » et se plonger dans le rêve. Et puis découvrir l’envers du décor. Pour rendre possible un pèlerinage culturel et cinématographique. Pour qu’on nous signale au passage l’Allée des Brouillards : le lieu de naissance du grand ami de Simenon, Jean Renoir, qui adaptera l’un des premiers Maigret au cinéma, La nuit du carrefour, en 1932 (p. 129).

Ce Maigret : traversées de Paris intéressera les amoureux du Paris d’autrefois, qui évite les endroits touristiques et clinquants. Quelques cartes, un index et plus de 180 photographies en noir et blanc agrémentent ce livre soigné et précis (1).

Note
(1) En guise de complément, on lira, sur les librairies de fond et les lieux littéraires parisiens, l’excellent livre de François Busnel, Mon Paris littéraire, Paris, Flammarion, 2016.



Michel Carly
Maigret : traversées de Paris : les 120 lieux parisiens du commissaire Paris, Éditions Omnibus et Bibliocité
2019 [1e édition en 2003], 189 p.

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