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Les Barbares de La Malbaie

27 novembre 2019

Glory Days

Jason Béliveau

Les enjeux du film sportif commercial sont clairs et se soldent au dernier quart du récit. Victoire (généralement) ou défaite (rarement), aboutissements contraires de sacrifices et d’efforts surhumains, l’ambiguïté n’est que rarement admise. Même quand la défaite s’avère en réalité une victoire (Rocky), la sérialisation propre au genre viendra corriger le tir (Rocky II), dans un souci d’aplanir l’injuste, l’aléatoire, le caractère magnifiquement abstrait du match sportif. Tu bûches, tu gagnes. Le cinéma peut être parfois d’une mécanique trop conséquente.

Les Barbares de La Malbaie est la dernière production québécoise en date à se consacrer à notre sport national, source intarissable de passions et d’amertume. Sujet rassembleur oblige, il fallait vendre la marchandise, comme en atteste une bande-annonce vitaminée à la testostérone : blagues de femmes mal-baisées, mises en échec, le tout nappé de la voix d’Éric Lapointe éraillant un sulfureux « Marie-Stone ! » qui n’en finit plus de finir. Mais au travers de ces pépites turgescentes émergent les pointes d’une mélancolie toute particulière, d’un trouble qui déjoue les attentes. Sont visibles les blessures et les rêves déchus d’un joueur de hockey, Yves Tanguay (joliment détestable Philippe-Audrey Larue-St-Jacques), trentenaire qui a déjà passé à « ça » d’être dans la Ligue nationale de hockey.

Film de route versant Alexander Payne (Sideways, About Schmidt, Nebraska), influence assumée du cinéaste Vincent Biron (Prank), Les Barbares suit les frasques de Tanguay, « vedette » d’une équipe amateur qui vient de se tailler une place dans des championnats canadiens qui se tiendront à Thunder Bay en Ontario. Malgré une blessure débilitante au cou et un désaveu de son entraîneur (Jean-Michel Anctil, au curriculum d’acteur de plus en plus enviable), l’étoile déchue fera le pari de traverser les quelque 2000 kilomètres le séparant de ce qu’il considère comme une régénération de sa carrière. À ses côtés, le seul qui croit encore en lui, son jeune cousin Jean-Philippe (Justin Leyrolles-Bouchard), qui rêve un jour d’être agent de joueurs. Qu’il serait du genre à tenir son bout dans une conversation avec le personnage de Fernand des Boys, encyclopédie obsessionnelle de statistiques de hockey superflues, laisse présager une carrière prometteuse.

En chemin, Biron et le trio de scénaristes Éric K. Boulianne, Marc-Antoine Rioux et Alexandre Auger dépeignent en teintes grises les états de ces personnages en quête d’absolu, auxquels viendra se greffer une anglophone dubitative quant à l’issue de leur périple (Erin Margurite Carter). La petite équipe, qui avait déjà collaboré sur la surprise qu’a été Prank en 2016 (sélections à Venise et à Toronto), aime peupler ses films de sympathiques perdants, d’éternels frustrés au cœur d’or, d’êtres essentiellement faillibles. Et au lieu du lustre, nous seront montrés de station en station des autoroutes sans fin, des chambres d’hôtel miteuses, de richissimes joueurs de hockey avec de grosses cabanes montrées comme des châteaux transylvaniens, plantés dans des banlieues sinistres, et des bars miteux à Val-d’Or, localité d’espoirs toujours malmenés. Si le film est parfois drôle, sa structure narrative laisse sans cesse présager qu’une part de tragique attend Yves et son cousin à Thunder Bay.

Nous sommes loin de la pentalogie Les Boys, des histoires « de cul, de sports, de chars, de femmes ». Audacieux dans son obsession à déboulonner les codes du mâle bêta, rayon jack-strap et grosse quille de 50, Les Barbares de La Malbaie préfère interroger un masculinisme glorieux, dévoilé comme déconnecté de la réalité. Tandis qu’Yves fantasme sur son comeback, son cousin Jean-Philippe apprend du monde autour de lui, se met à voir derrière les parures, au-delà des différentiels et des taux de réussite sur les tirs. Il s’affirme, se définit.

À l’autre bout de ces trajectoires déviantes, tracées avec douceur, la patinoire n’est plus qu’une arrière-pensée. Le sport est intérieur et ne tient pas de score. Il peut tout de même être maîtrisé.

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