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Niagara

15 septembre 2022

Folie familiales

Guillaume Potvin

Niagara est d’abord et avant tout une histoire de famille : trois frères doivent se rassembler à l’occasion de la mort subite de leur père. Une prémisse de road movie simple et efficace, mais drôlement quelconque; au moins quatre autres films québécois des trois dernières années partagent celle-ci (Réservoir, Merci pour tout, Au revoir le bonheur et Nouveau-Québec). Mais Niagara est certainement le seul d’entre eux dans lequel le patriarche en question est mort d’un ice bucket challenge qui a mal tourné.

Bien que ce type de références désuètes puisse s’avérer irritant pour certains (les blagues sur l’açaï auront l’âge d’entrer au secondaire cet automne), Guillaume Lambert parvient quand même à tirer son épingle du jeu en misant sur les idiosyncrasies discordantes de ses personnages, à commencer par le trio fraternel central. D’abord, Alain (François Pérusse, dans son premier un rôle principal au cinéma), un raté de première classe, entraîneur de taekwondo sur qui la malchance s’acharne ; puis, Léo-Louis (interprété par Éric Bernier), le névrosé irritable, incarnation même de l’ascension sociale ; et enfin, Victor-Hugo (joué par Guy Jodoin, le seul des trois comédiens absent du film précédent du réalisateur), le frère resté le plus près de leur père Léopold (Marcel Sabourin), perpétuant les valeurs de simplicité volontaire de la vie agricole. De toute évidence, ces retrouvailles ne seront pas sans friction car la séparation géographique des frères n’est rien comparé à l’écart émotionnel qui s’est creusé entre eux avec les années.

Heureusement, le sens de la répartie déployé dans les dialogues de Lambert fait en sorte que ces frictions interpersonnelles ne sombrent jamais dans le pathos. Au contraire, l’attitude pince-sans-rire et les calembours typiquement pérussiens des frères mettent en relief l’absurdité ambiante des situations dans lesquelles ils se retrouvent. Et il ne manque pas de situations loufoques. Chaque détour routier est une occasion d’introduire des personnages tous plus caricaturaux les uns que les autres. On pense notamment à Véronic DiCaire et Katherine Levac en duo mère-fille franco-ontarien, et à Tommy, ce jeune artiste excentrique, petit rôle que Guillaume Lambert s’est réservé.

On détecte d’ailleurs dans ce geste un changement dans la façon de faire de Lambert qui, dans Les scènes fortuites, campait le protagoniste Damien Nadeau-Daneau (l’allitération nominale à laquelle fait écho le nom de Léo-Louis Lamothe). Alors que ce premier film semblait être animé par des préoccupations intimes et truffé d’anecdotes personnelles, Lambert est bon deuxième dans Niagara. Bien que ses cheveux fluorescents attirent le regard dans les quelques scènes où il est présent, ses répliques sont sous-titrées car le personnage marmonne. On en déduit une volonté de faire rayonner ses comédiens, de leur permettre de puncher et de laisser son écriture et sa réalisation parler d’elles-mêmes.

D’ailleurs, celles-ci ne sont jamais aussi éclatées que celles des Scènes fortuites, un film ovni dans lequel les figures de style et les sauts de ton s’entrechoquent et où les caméos mineurs et majeurs pullulent (Bernie du Cinéma Dollar! François Pérusse!! Denis Lavant!?). Bien que quelques moments de Niagara rappellent le goût de Guillaume Lambert pour la stylisation et le saugrenu, on ressent un adoucissement dans son approche, voire une certaine résignation. Concessions dues à l’ampleur de la production ou simple désir d’aller ailleurs?

Chose certaine, le juste milieu entre (anti-)humour niché et comédie grand public n’est pas encore tout à fait au point. Mais en attendant que cela le soit, si Niagara donne envie de revisiter Les scènes fortuites (voir Séquences no 313 pour notre critique), c’est tant mieux, car ce visionnement permettra de réaliser que Lambert est en train de se révéler comme un auteur avec des thèmes et un humour qui lui sont propres. Il y a quelque chose d’excitant à voir un créateur se déployer ainsi. Bien qu’il soit comédien de formation, Guillaume Lambert appartient à ce petit groupe d’humoristes — avec Adib Alkhalidey et, dans une moindre mesure, Mariana Mazza — pour qui le passage à la scénarisation et à la réalisation est le fruit d’années de travail en humour et d’apparitions télévisuelles. Mais Niagara signale clairement que Lambert est le premier à se démarquer de ses camarades par la singularité de sa vision cinématographique.

Norbourg

21 avril 2022

The Wolf of boulevard René-Lévesque

Guillaume Potvin

Presque vingt années nous séparent de la fondation et de la faillite de l’entreprise de gestion de fonds de placement Norbourg (1998-2005). Bien que la firme ait été hautement médiatisée depuis ses débuts — des publicités vantant son intégrité étaient diffusées régulièrement à la télévision et son directeur général, Serge Beugré, animait une chronique au canal Argent —, c’est seulement au moment des perquisitions effectuées par la GRC, le 25 août 2005, que Norbourg est devenu tristement célèbre.

Curieux qu’il a fallu si longtemps avant que l’histoire soit portée au grand écran, car l’encre qu’a fait couler le coup d’éclat remplirait probablement une piscine olympique. On a publié d’innombrables articles au cours de l’enquête officielle qui, elle aussi, a généré des milliers de pages de témoignages. Le journaliste Yvon Laprade et l’ancien directeur des communications de la firme Philippe Terninck ont d’ailleurs tous deux écrit des livres sur la saga. Manifestement, le cas Norbourg a fasciné le public et a inspiré nos artistes. En 2008, le chasseur de lagopèdes de Robert Morin ne faisait pas que partager le prénom de Vincent Lacroix, il était comme lui un arnaqueur en cavale. Si ce dernier s’avérait tout de même sympathique, la critique de Morin a par la suite redoublé d’ardeur dans Un paradis pour tous en insistant sur le caractère abject des bandits à cravate.

Bref, tous s’entendent pour dire que Lacroix est un beau crosseur. Mais outre ce sentiment de dégoût et d’injustice généralisé, quel est l’intérêt du scandale Norbourg au-delà du fait divers ? Quel est le drame au cœur de cette histoire ? Non pas au sens tragique — les 115 millions de dollars soutirés aux 9 200 petits épargnants québécois parlent d’eux-mêmes —, mais bien au sens dramaturgique ? Sincèrement, à ce stade, la question se pose. Que reste-t-il à dire sur cette affaire ? Quel nouveau regard pouvons-nous y porter ?

Avec un duo de créateurs aussi chevronnés que Maxime Giroux et Simon Lavoie à la tête du projet et le recul historique engendré par la conclusion juridique de l’affaire, Norbourg a tout pour piquer la curiosité. L’agencement de la sensibilité humaniste de Giroux pour les personnages troublés et opaques (Jo pour Jonathan, Félix et Meira) avec les questionnements nationalistes de Lavoie (Le déserteur, Laurentie, Le torrent, Ceux qui font les révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau) ainsi que leur fascination commune pour le nihilisme ambiant, voire même l’eschatologie (La grande noirceur, La petite fille qui aimait trop les allumettes, Nulle trace) annonçait une première collaboration gagnante.

D’entrée de jeu, on remarque dans Norbourg un choix scénaristique plutôt inspiré : Lavoie aborde le récit du point de vue d’Éric Asselin, le vérificateur de l’Autorité des marchés financiers (AMF), qui quittera ses fonctions pour devenir l’acolyte principal de Vincent Lacroix. C’est une stratégie au potentiel dramatique intéressant car elle permet d’exposer les informations pertinentes par rapport à Norbourg et son fondateur au fur et à mesure que le personnage les découvre. Mais l’impact dramatique des découvertes incriminantes d’Asselin tombe à plat, à moins que l’on soit complètement ignorant du scandale.

S’ajoute à cela une caractérisation des personnages plutôt mince qui les rend unidimensionnels et inintéressants. En ce sens, l’intelligence d’Asselin, le prétendu « cerveau » de l’opération, est peu convaincante. Il faut mentionner que, outre son ampleur, la fraude effectuée par Norbourg n’a rien de particulièrement novateur. Pour représenter leurs crimes, on enchaîne les séquences de montage montrant des méthodes comme l’usurpation de signatures, la contrefaçon de télécopies, courriels et relevés de transactions, le passage d’enveloppes brunes et un nombre ridicule de plans d’écrans informatiques affichant des chiffres sans signification narrative remplacés par d’autres chiffres tout aussi insignifiants.

Néanmoins, il faut admettre que l’abstraction est la nature même des crimes de cols blancs : on manipule les données pour que celles-ci mentent à notre place. Si c’est probablement ce qui aide leurs auteurs à se déculpabiliser, c’est aussi ce qui complexifie leur explication et leur représentation. Norbourg tente de résoudre ce problème en personnifiant les conséquences de ces trafics de fonds par l’entremise du personnage de Jean-Guy Houle, mais les quelques apparitions de cette célèbre victime sont au service d’un pathos superflu.

Norbourg n’est toutefois pas sans qualité. La direction photo (assurée par Sara Mishara, qui jette ici un tout autre regard sur le centre-ville de Montréal qu’elle l’avait fait dans Les oiseaux ivres) est franchement remarquable. Les cadrages enserrant l’équipe de Norbourg de tous côtés par des façades vitrées — tantôt transparentes, tantôt réfléchissantes — traduisent efficacement le tiraillement entre leur désir d’exhiber leur statut et la crainte que leur imposture soit découverte. Bien que Lacroix se montre très confiant, certains plans en contre-plongée rappellent qu’il n’est en fait qu’un petit joueur dans le monde de la haute finance, les gratte-ciel avoisinants le surplombant tels des Léviathans menaçants. Dans une scène au dernier étage d’un stationnement, la mise en scène et le découpage accentuent la distance qui se creuse entre Lacroix et Asselin peu de temps avant que les rouages de la justice se mettent à tourner.

Dommage que ces scènes si bien réalisées ne parviennent pas à sauver l’ensemble. Ce à quoi semble se buter Norbourg n’est rien d’autre que les limites mêmes du réalisme narratif; on sent constamment le poids de l’« Histoire officielle » sur l’œuvre. Elle pèse si lourd qu’elle empêche le film de réellement décoller. Par le fait même, on perçoit là une occasion manquée d’explorer les aspects curieux et uniques du cas : le caractère spectaculaire de la compagnie, la tentative par Lacroix de contrôler la perception publique de l’affaire, sans parler de ce que le scandale Norbourgpermet de révéler sur le fonctionnement du monde. Si Giroux et Lavoie ont des idées à ce sujet, elles ne sont prononcées qu’à demi-mot : le financement et les ressources des institutions d’encadrement économique sont insuffisants, la déréglementation est l’arme principale du néolibéralisme, la restructuration de la Commission des valeurs mobilières du Québec a profité aux riches et l’élection des libéraux de Jean Charest en 2003 n’aura fait qu’accélérer la fragilisation de notre système public. Qui n’était pas déjà convaincu que Vincent Lacroix est un salaud de première classe ? À l’ombre d’un retour en politique possible de Charest qui plane à l’horizon, on aurait espéré que notre Wolf of Wall Street ait des crocs plus acérés.

Le jeune Ahmed

14 juillet 2020

Intégrer l’intégrisme

Guillaume Potvin

C’est d’un pas rapide et maladroit qu’Ahmed traverse son environnement, comme pour échapper aux regards et s’isoler le plus vite possible. C’est pénible de le regarder : il courbe le dos, garde la tête basse et perd constamment ses lunettes. À 13 ans, il est coincé dans ce moment inconfortable entre l’enfance et l’âge adulte et la vulnérabilité saisissante avec laquelle Idir Ben Addi incarne ce personnage rend son mal de vivre palpable. On éprouve donc facilement de l’empathie lui, mais il est difficile d’en dire autant pour sa rhétorique et ses actions; tous deux sont déterminées par une haine nébuleuse instrumentalisée par un imam prônant le jihad.

Étant témoins du mode de vie d’Ahmed — sa mère monoparentale, ses soeurs « occidentalisées » — on imagine facilement ce qui est si attrayant dans l’islam fondamentaliste. À l’âge où il cherche un sens à sa vie, le rituel offre la possibilité de transcender la banalité des gestes quotidiens, la foi permet d’échapper aux blessures laissées par ses conditions matérielles. Cela nous est montré efficacement grâce à une caméra mobile — bougeant beaucoup trop précisément pour être décrite comme nerveuse — qui nous donne des indices quant à la compréhension du monde qui prend forme chez l’adolescent. Le regard quasi documentaire typique des frères Dardenne accorde autant d’attention aux gestes routiniers d’Ahmed qu’à ses gestes ritualisés et ses gestes clandestins. C’est la fiction, la logique interne du scénario, qui détermine l’intensité dramatique de ceux-ci et, par le fait même, leur attrait ou leur insipidité respective.

Fidèles à eux-mêmes, c’est un humanisme teinté de valeurs judéo-chrétiennes qui guide à nouveau ce 11e scénario de fiction des réalisateurs belges. Force est donc de constater que c’est cette idéologie qui domine leur filmographie, quoique Deux jours, une nuit injectait une bonne dose d’analyse socioéconomique à son chemin de croix symbolique. Bien que cela rend leurs films intéressants, telle une prolongation des préoccupations de Robert Bresson par exemple, cela n’est pas sans ses problèmes. Le caractère arbitraire des valeurs sous-jacentes de leurs films est facilement invisibilisé par le style réaliste dont ils sont devenus maîtres, comme si elles allaient de soi. On pourrait parler de normalisation par l’esthétisme. Les Dardenne proposent un cinéma social, ancré dans des problématiques contemporaines, certes, mais Le jeune Ahmed, peut-être plus que n’importe quel autre de leurs films d’ailleurs, mérite d’être vu avec un regard sceptique. Puisque l’idéologie que critique leur scénario est virtuellement interchangeable avec n’importe quelle forme d’extrémisme haineux (antiféminisme, racisme, nationalisme, etc.), il vaut la peine de considérer les idées reçues que perpétue le film.

Une femme en guerre

28 mars 2019

Semaine 13
Du 29 mars au 4 avril 2019

RÉSUMÉ SUCCINCT
Activiste écologiste, Halla a décidé de prendre les grands moyens pour se faire entendre. Pour contrecarrer les plans d’expansion d’une usine d’aluminium dans son village rural d’Islande, elle part en mission de sabotage du système électrique.

PRIMEUR
| CRITIQUE |

★★★

SEULE CONTRE TOUS

Guillaume Potvin

Difficile de nier que la tendance du cinéma populaire des dernières années est l’uniformisation. À force d’agglomérer les propriétés intellectuelles, Disney et ses filiales produisent des films pratiquement indiscernables les uns des autres, non seulement en termes de forme et de contenu, mais aussi en matière de discours. Dans le royaume où Marvel règne en maître, il n’est pas surprenant que même les films les plus indie empruntent des codes aux films de super-héros. Preuve à l’appui : Une femme en guerre, film de super-héros écologique. À bien y penser, tout y est, une justicière anonyme, multipliant actes de courage, prouesses physiques et jeux de ruse pour vaincre son ennemi.

Mais Halla, alias « la femme de la montagne » n’a rien d’une super-héroïne typique. Quarante-neuf ans, dirigeante d’une chorale, cette admiratrice de militants sociaux comme Gandhi et Mandela combat une némésis complètement immatérielle, le néolibéralisme.

Avec force et intelligence, elle sabote les pylônes électriques qui alimentent la fonderie Rio Tinto. La narration visuelle des séquences où Halla s’aventure dans les paysages imposants de l’Islande afin d’accomplir ses actions directes est particulièrement impressionnante. À la manière de Figures in a Landscape (Joseph Losey, 1969), le cinéaste Benedikt Erlingsson parvient à établir une tension formidable et à signaler les revirement de situations et leurs enjeux fluctuants et ce, par l’image uniquement.

Mais, contre toute attente, ces longues séquences d’économie de paroles, très réalistes en soi, sont ponctuées par des touches surréelles mettant en scène une chorale traditionnelle d’Europe de l’Est. Erlingsson ne manque certainement pas d’inventivité visuelle. On sort ainsi du visionnement d’Une femme en guerre avec un sentiment semblable à celui qu’avait pu laisser Okja (Bong Joon-ho, 2017), pas tant un (faux) espoir pour l’avenir de l’humanité ou de l’environnement, mais certainement un optimisme pour la possibilité d’un cinéma original et visionnaire.

À la manière de Figures in a Landscape (Joseph Losey, 1969), le cinéaste Benedikt Erlingsson parvient à établir une tension formidable et à signaler les revirement de situations et leurs enjeux fluctuants et ce, par l’image uniquement.

FICHE TECHNIQUE

Sortie
Vendredi 29 mars 2019

Réal.
Benedikt Erlingsson

Origine(s)
Islande
France
Ukraine

Année : 2018 – Durée : 1 h 40

Genre(s)
Comédie dramatique

Langue(s)
V.o. : islandais / s.-t.f. & s.-t.a.
Woman at War
Konafer í stríð

Dist. @
Métropole Films


Classement
Tous publics

Info. @
Cinéma Beaubien
Cinéma du Parc
Cinéma Moderne / dès le 5 avril 2019

MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel.  ★★★★ Très Bon.  ★★★ Bon.
★★ Moyen.  Mauvais. 0 Nul.
½ [Entre-deux-cotes]

Genèse

14 mars 2019

| PRIMEUR |
Semaine 11
Du 15 au 21 mars 2019

RÉSUMÉ SUCCINCT
Alors que sa relation de couple bat de l’aile, Charlotte tombe sous le charme de Théo, un musicien volage rencontré dans un bar. Guillaume, élève dans un pensionnat, est secrètement épris de son meilleur ami Nicolas et désire se rapprocher de lui. Au camp de vacances, Béatrice et Félix vivent leur premier amour.

CRITIQUE
| Guillaume Potvin |

★★★  ½

LE LANGAGE DE L’AMOUR

Premier coup de foudre. Première déclaration d’amour. Première peine d’amour. Trois histoires qui se chevauchent, s’emboîtent et se succèdent. Trois histoires où l’amour adolescent est à la fois sincère, pure, naïf, maladroit, tragique et surtout exacerbé par la nouveauté des circonstances.

Ces tumultes émotionnels de la fleur de l’âge forment un terrain fort fertile pour Philippe Lesage. Comme il nous l’aura fait remarquer dès sa première fiction, Les démons (2015), une des œuvres les plus étonnantes de la filmographie québécoise récente, le cinéaste saisit bien les manières par lesquelles l’environnement social et naturel peut paraître fort différent à travers les yeux des enfants. Si Lesage et son DP Nicolas Canniccioni captent les idiosyncrasies de ces jeunes regards avec une justesse désarmante, les distorsions de perspective de la jeunesse ne sont pas que d’ordre visuel; elles affectent aussi et surtout la formation de leur conceptualisation du monde qui les entoure, les relations sociales qui l’animent et les rapports de forces qui le déterminent. Le drame commun de Genèse, tout comme Les démons avant lui, est essentiellement celui-là : l’inéluctable choc entre les gestes autodéterminants des protagonistes et l’entendement divergent de leur entourage face à ceux-ci.

… les terrains sondés par Genèse et Les démons rappellent ceux de Laurentie de Mathieu Denis et Simon Lavoie (2011) dans la mesure où ces œuvres dépistent toutes la même violence (sexuelle) latente qui habite l’homme québécois.

Prises individuellement, les trois parties du film dressent un éventail des hauts et des bas émotionnels de l’adolescence. Mais la construction formelle et les choix esthétiques inusités laissent présager qu’il y a anguille sous roche. La multiplication des dialogues significatifs en anglais, les nombreuses références à l’histoire (le Rapport Durham) et à la culture anglo-saxonne (The Smiths, J.D. Salinger), le floutage des repères historiques laissent tous sous-entendre une inquiétante fatigue culturelle. La langue française, réservée à l’intellectualisation de l’affect — pensons aux monologues machistes livrés brillamment par Paul Ahmarani — ainsi qu’aux banalités quotidiennes ne semble plus apte à exprimer les sentiments véritables.

À ce titre, les terrains sondés par Genèse et Les démons rappellent ceux de Laurentie de (Mathieu Denis et Simon Lavoie (2011) dans la mesure où ces œuvres dépistent toutes la même violence (sexuelle) latente qui habite l’homme québécois. Ce bouillonnement de crise identitaire et de masculinité toxique crée une situation propice au surgissement de prédations de toutes sortes. Les plus vieux profitent des plus jeunes, les hommes abusent des femmes; toutes ces violences se jouent dans l’angle mort d’une jeunesse inconsciente de la logique de domination qu’on lui inculque. Comme va la chanson, si « j’ai vendu ma blonde », c’est bien car « pour boire, il faut vendre ».

FICHE TECHNIQUE

Sortie
Vendredi 15 mars 2019

Réal.
Philippe Lesage

Origine(s)
Québec [ Canada ]

Année : 2018 – Durée : 2 h 11

Genre(s)
Drame

Langue(s)
V.o. : français, anglais / s.-t.a. & français
Genesis

Dist. @
FunFilm

Classement
Interdit aux moins de 13 ans

Info. @
Cinéma Beaubien
Cinéma du Musée
Cinéma Moderne
Cineplex

MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel.  ★★★★ Très Bon.  ★★★ Bon.
★★ Moyen.   Mauvais. 0 Nul.
½ [Entre-deux-cotes]

Burning

6 décembre 2018

| PRIMEUR |
Semaine 49
Du 7 au 13 décembre 2018

RÉSUMÉ SUCCINCT
Dans les rues de Séoul, Jongsu, un aspirant écrivain, rencontre Haemi, une ancienne voisine et camarade de classe. Celle-ci part pour un court voyage en Afrique, et en revient en compagnie de Ben, un homme riche, cynique et énigmatique. Lors d’une conversation, Ben avoue à Jongsu qu’il est pyromane. Quelques jours plus tard, Haemi disparaît sans laisser de traces.
Suite

Laissez bronzer les cadavres

20 septembre 2018

| PRIMEUR |
Semaine 38
Du 21 au 27 septembre 2018

RÉSUMÉ SUCCINCT
La Méditerranée, l’été : une mer d’azur, un soleil de plomb… et 250 kilos d’or volés par Rhino et sa bande! Ils ont trouvé la planque idéale : un village abandonné, coupé de tout, investi par une artiste en manque d’inspiration. Hélas, quelques invités surprises et deux flics vont contrecarrer leur plan.

CRITIQUE
| Guillaume Potvin |

 ★★★★

SUBLIME VIOLENCE

Délire formaliste. Western hallucinogène. Pastiche minutieux. Tous les moyens sont bons pour tenter de décrire l’étrange objet qu’est Laissez bronzer les cadavres, mais quoi que soit le qualificatif qu’on choisit, il y toujours quelque chose qui échappe à notre description. Car ce troisième opus de Hélène Cattet et Bruno Forzani — couple de cinéastes belges auxquels le Festival Fantasia avait dédié une rétrospective en octobre 2017 — est une démonstration d’excès en tous genres.

Laissez bronzer les cadavres se doit d’être vu sur grand écran,
le volume a en percer les tympans et préférablement le soir, tard.
Assurément LE midnight movie de l’année!

C’est une mince histoire de cambriolage tournant au vinaigre qui permet aux cinéastes de mettre en place une série de tableaux et de mécanismes qui n’ont qu’un seul but: happer le spectateur, agencer tout ce que la palette audiovisuelle du cinéma permet de manière à laisser l’impact le plus viscéral possible. Montage mitraillade de gros plans visuels et sonores. Couleurs saturées sous le soleil plombant de Corse. Noirceur découpée par les coups de feu. On en prend tellement plein la gueule que les détails de l’intrigue deviennent secondaires. On ressent toutefois très bien cette tension qui monte au fur et à mesure que les ressources des personnages s’évaporent: les munitions, bien sûr, mais aussi les voies de sorties et surtout, la précieuse lumière du jour.

Le formalisme de Cattet et Forzani est manifestement référentiel (Giallo, Western spaghetti), mais ils relèvent le défi de ne pas tomber pas dans le calquage nostalgique. Au contraire, le couple d’esthètes ne fait preuve d’une inventivité absolument démesurée. Laissez bronzer les cadavres se doit d’être vu sur grand écran, le volume a en percer les tympans et préférablement le soir, tard. Assurément LE midnight movie de l’année!

Sortie
Vendredi 21 septembre 2018

V.o.
français; s.-t.a.
Let the Corpses Tan


Réal.
Hélène Cattet

Bruno Forzani

Genre
Western contemporain

Origine
France

Année : 2017 – Durée : 1 h 30

Dist.
Cinéma du Parc

[Kino Lorber].

Horaires & info. @
Cinéma du Parc

Classement
NC
(Non classifié)

MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul
½ [Entre-deux-cotes]

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