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No 329 – Travelling avant sur le Château Frontenac, en contre-jour

11 janvier 2022

Laissez-moi vous parler de Québec. Ces temps-ci, la région de la Capitale-Nationale fait la manchette, mais pour des raisons qui sont très éloignées du cinéma (ceci étant dit, je verrais bien dans quelques années un film sur le troisième lien dans l’esprit de Réjeanne Padovani de Denys Arcand).

Une petite mise en contexte s’impose, qui vous fera comprendre qu’il est ici question — à peine, à peine — de chauvinisme pleinement assumé. Bien que la majorité de son équipe habite Montréal, Séquences est une revue dont les bureaux sont situés dans l’une des plus vénérables et anciennes institutions de Québec. Pour ma part, j’habite les divers quartiers de son arrondissement La Cité-Limoilou depuis une quinzaine d’années.

Québec est une ville carte postale, c’est bien connu, mais elle est étrangement peu présente sur les grands écrans. Elle demeure néanmoins le décor d’un grand classique du cinéma, I Confess d’Alfred Hitchcock (1953), accueilli tièdement à sa sortie en salle aux États-Unis, encensé quelques mois plus tard en France, notamment par Jacques Rivette dans Les cahiers du cinéma. Le synopsis, tout simple, est diablement efficace : le père Logan (Montgomery Clift) choisit de taire l’identité d’un tueur, étant lié à celui-ci par le secret de la confession. Par subterfuge, l’assassin portait une soutane la nuit du crime. Logan devient ainsi le principal suspect de l’affaire. Mais cet homme de Dieu, d’apparence noble, est loin d’être sans reproche.

Nous sommes en terrain connu : le film est un exemple parfait du concept de transfert de culpabilité qui consume le cinéaste (Strangers on Train et The Wrong Man étant deux autres exemples probants). Son utilisation de l’architecture particulière du Vieux-Québec est conséquente, les rues étroites et tortueuses du quartier formant un dédale escherien où toute ligne de fuite se bute à un mur. Aucune issue n’est possible pour le père Logan. Nous baignons en plein cauchemar expressionniste. Pour l’habitant.e de Québec, un jeu s’ajoute à celui qu’Alfred orchestre pour notre plaisir de cinéphile : celui qui consiste tracer une carte fidèle des lieux défilant à l’écran, alors que, bien entendu, l’espace filmique est ici constitué d’un amalgame de décors bigarrés et éloignés les uns des autres.

Hitchcock a plus tard répudié I Confess pour son manque d’humour. Bien qu’il soit effectivement l’un des films les plus arides du maître du suspense, il concentre magnifiquement ses obsessions et se termine sur une scène iconique à l’intérieur du Château Frontenac. Cette comète a laissé une trace indélébile sur la ville, au point qu’un p’tit gars d’ici, et pas des moindres, en a fait le point de départ d’un premier film qui, j’oserais dire, le surpasse en tout point. Le confessionnal de Robert Lepage a réussi à extirper toute la québécitude du film de la Warner Bros. : l’influence de l’Église sur les ménages d’alors, la complicité du gouvernement duplessiste, la culpabilité typiquement catholique. Ce récit parallèle, campé dans les années 1950 et 1980, au-delà des tours de passe-passe chers à Lepage, forme une réflexion fascinante sur la façon dont les Québécois.e.s se perçoivent dans l’œil de « l’Autre ». Présenté à la Quinzaine des réalisateurs en 1995 (accompagné d’Eldorado de Charles Binamé), succès critique incontestable, déjà qualifié de classique de notre cinéma national à sa sortie en salle, il est la plus grande réussite cinématographique tournée à Québec. 

Cut to un demi-siècle plus tard. Québec continue de se faire timide sur les grands écrans. Sa dernière apparition notable à l’international est dans Catch Me If You Can de Steven Spielberg (2002), où la place Royale se substitue à Montrichard en France le temps d’une scène inoubliable opposant Tom Hanks et Leonardo DiCaprio. Plus récemment, on est venu y tourner des miniséries sud-coréenne (Goblin) et américaine (Barkskins). Même dans le cadre de productions québécoises, elle se fait rare. Depuis Les Plouffede Gilles Carle en 1981, production pharaonique d’une incontestable qualité, on pourrait noter Tout ce que tu possèdes de Bernard Émond (2012), tourné dans le quartier Saint-Jean-Baptiste, et quelques scènes des films de la série 1981 de Ricardo Trogi, originaire du coin.

Plus récemment, le cinéaste de Québec Samuel Matteau a réussi, avec son premier long métrage Ailleurs (2017), à extirper notre ville de ses poncifs et d’en faire une entité étrange et mystérieuse, nourrie par son histoire et son architecture unique. Rien que pour ce pari relevé, le film mérite d’être vu. Mais autrement, Québec est encore à réfléchir cinématographiquement. Les possibilités sont infinies.

JASON BÉLIVEAU — RÉDACTEUR EN CHEF

Red Rocket

17 décembre 2021

On drague, on branche, toi-même tu sais pourquoi

Maxime Labrecque

Bye Bye Bye. Vernis pop, clinquant. Mais comme recouvert d’une poussière grasse. La chanson du groupe NSYNC donne le ton à ce film improbable et pourtant si réel, où l’écho optimiste d’un boys band d’antan ne fait que rappeler la gloire du « ça a été ». Après le sublime The Florida Project, Sean Baker décide de rester dans les États du Sud mais en troquant la Floride pour le Texas. Chez Baker, les lieux façonnent les personnages et instaurent dès les premiers instants un imaginaire fort, comme cette unique maison délabrée entourée de raffineries où débarque Mikey. Malgré l’aura de loser qui l’accompagne partout où il va, Mikey possède un je-ne-sais-quoi de magnétique, un sex appeal tape-à-l’œil fané qui provoque, chez celles et ceux qu’il subjugue, une certaine fascination. Beau parleur, éternel adolescent dont la gloire est depuis longtemps ensevelie sous une couche de mensonges et de mauvaises décisions, il ne peut — ou ne veut — s’ajuster au monde adulte, rêvant de glitter et de lube et d’une jeune rouquine qui vend des beignes. Narcissiste, individualiste, hyperactif. Une caricature ? On voudrait le croire, mais cette figure polarisante qu’on aime et qu’on déteste est, en fin de compte, criante de vérité; un archétype nourri aux clichés dès la plus tendre enfance, aux opinions arrêtées, au comportement provoquant d’innombrables dommages collatéraux.

Voilà que le titre semble prendre ici tout son sens. D’aucuns pourraient y voir une métaphore de la personnalité incandescente, de l’énergie hyperactive de Mikey Saber, ex-vedette de films pour adultes incarnée ici par l’infatigable Simon Rex. Soit. Mais les plus fins, ou tout simplement les plus bilingues d’entre nous, qui maîtrisent peut-être — non sans une certaine fierté — quelques expressions de slang, savent vraiment ce dont il s’agit. Oh ! oui, ils savent. Ceux-là mêmes qui ont déjà un sourire en coin en ayant lu le titre sans même en connaître le propos. Car oui, ce red rocket désigne, purement et simplement, une érection canine. Nul besoin de verser dans la surinterprétation. Une bête réaction physique basée sur le désir qui, bien souvent pour le pire, outrepasse, contourne la raison. Tout est dit. Mais une question demeure : aurait-on assisté au grand retour de la prothèse pénienne de Mark Wahlberg près de 25 ans après Boogie Nights ? En fait, probablement pas. Car, en fouillant ici et là, on découvre assez facilement que Simon Rex est le parfait exemple d’une réalité qui dépasse la fiction. D’abord acteur de films pour adultes, il devient par la suite mannequin puis VJ à MTV et rappeur sous le pseudonyme Dirt Nasty (évidemment). Bien qu’il ait incarné des rôles très secondaires dans quelques films comme Scary Movie 3, Rex tient, dans Red Rocket, son premier grand rôle au cinéma où il étale toute son authenticité, son énergie brute et son sourire niais à vélo.

Mikey entretient un flirt risqué avec Strawberry, 17 ans, qui culmine dans une finale nimbée de teintes rose et jaune, symbole d’un avenir meilleur telle cette fuite à Disney World à la fin de The Florida Project. Mais cette finale bonbon est-elle bien réelle ou n’est-ce qu’un bref moment de grâce avant une débâcle qu’on imagine inévitable ? Ou est-ce une manière de renvoyer ce fantasme résolument cliché au visage de tous ces hommes en crise, si prévisibles et petits, qui gonflent leur ego à l’aide des pires artifices ? Au-delà du décor et de Mikey, c’est la richesse des personnages secondaires — qui incarnent le seuil entre naturalisme et caricature — qui fait la force du film. Lexi (Bree Elrod) et sa mère qui fument comme les raffineries qui les entourent, la dealeuse vétérane et sa fille qui ne se laisse pas impressionner, le voisin mytho qui provoque un carambolage; des personnages d’une banalité déconcertante et, pourtant, plus grands que nature, vrais et crus, sortis d’un vox pop sur une chaîne locale de la Fox. Il y a là un potentiel narratif inépuisable que Baker exploite avec une efficacité redoutable.

Chose certaine, Sean Baker trouverait sa place dans un hypothétique pique-nique avec les frères Safdie, Andrea Arnold et Harmony Korine.

Festif.

Poursuivre en ligne le 27e festival Cinémania

15 novembre 2021

2-21 novembre en ligne

Daniel Racine

Nous sommes tous tannés de cette pandémie qui s’étire, mais un des bons côtés de ces mois de confinement et de reprises progressives, c’est que la majorité des festivals de cinéma ont désormais une présence en ligne. C’est le cas du festival Cinémania qui se poursuit encore une semaine, sans que nous ayons à mettre le pied dehors.

Au niveau de la programmation, cette 27e édition ressemble aux éditions précédentes, avec des œuvres primées qui marqueront définitivement l’année et plusieurs films qui seront très vites oubliés. Voici une sélection de quelques titres (en plus de ceux dans mon texte précédent) qui seront accessibles dans les prochains jours sur le site du festival, quelques longs métrages qui ont pris ou prendront l’affiche très prochainement, et d’autres qui sont en attente d’un distributeur.

Amants de Nicole Garcia
Bientôt en salle au Québec

Il y a de ces films que nous aimerions pouvoir nous faire rembourser le temps que nous y avons consacré. Malheureusement, Amants est l’un de ceux-là. Comment se fait-il qu’une réalisatrice d’expérience comme Nicole Garcia (Le fils préféré, Place Vendôme, L’adversaire, Mal de pierres) puisse nous offrir un long métrage aussi générique et aseptisé que celui-ci. De l’intrigue molle au jeu désincarné de ses trois vedettes (Stacy Martin véritable porte-manteau, Pierre Niney perdu, et Benoît Magimel de plus en plus caricatural), rien ne peut sauver ce récit usé du triangle amoureux, triangle dont les coins sont beaucoup trop arrondis.

Boîte noire de Yann Gozlan
Maintenant en salle partout au Québec

Pas facile de faire un thriller sur le monde de l’aviation qui ne tombe pas dans les clichés d’usage. C’est pourtant la prouesse du réalisateur Yann Gozlan avec son très réussi Boîte noire. Utilisant avec intelligence les codes du cinéma complotiste très présent dans le cinéma américain des années 70 et début 80 (référence évidente au travail sonore de Blow Out de Brian De Palma), cette histoire d’enquête sur le contenu des bandes audios d’un vol commercial Paris-Dubaï a juste assez de fausses pistes pour nous garder en haleine. Et Pierre Niney nous offre l’une de ces meilleures performances, bien loin de celle générique dans l’ennuyant Amants de Nicole Garcia.

Le dernier voyage de Romain Quirot
À voir en ligne

Du cinéma de science-fiction tout droit sorti de l’Hexagone? Oui, ça se peut! Et Romain Quirot se débrouille plutôt bien pour son premier long métrage, inspiré de l’un de ses courts. Sans révolutionner le genre, Quirot ose mettre de l’avant un anti-héros qui erre et se questionne, plutôt que de nous proposer un mâle alpha à l’égo démesuré. Visuellement hypnotique, très conscient de piger aussi dans le western, Le dernier voyage confirme qu’il faudra garder un œil sur Romain Quirot, un peu comme nous savions très bien que Jean-Pierre Jeunet se démarquerait après son Delicatessen.

Rien à foutre de Emmanuel Marre & Julie Lecoustre
En attente d’un distributeur

Premier long métrage prometteur du duo des Français Emmanuel Marre et Julie Lecoustre, Rien à foutre a un titre révélateur, se jouant des codes entre le drame et la comédie, entre la fiction et le documentaire. Mais c’est parfois problématique au niveau du ton, le spectateur ne sachant pas trop sur quel pied danser. Heureusement, il y a Adèle Exarchopoulos qui a tout compris, telle une funambule au-dessus de la mêlée, elle navigue entre ciel et terre sans jamais perdre l’équilibre.

Rouge de Farid Bentoumi
À voir en ligne

Deuxième long métrage du réalisateur franco-algérien Farid Bentoumi, Rouge est un drame environnemental honnête, un peu prévisible, mais qui s’en tire bien grâce à son actrice Zita Hanrot. Découverte dans l’excellent Fatima, Hanrot nous embarque dans sa quête, sans jamais que nous remettions en question sa démarche tellement elle est convaincante. La construction du récit est efficace, avec une fin qui évite habillement le happy end. Un peu comme le récent Dark Waters de Todd Haynes, Rouge est satisfaisant, mais il manque un je-ne-sais-quoi pour que le film soit mémorable.

Serre-moi fort de Mathieu Amalric
En attente d’un distributeur

Tranquillement, mais sûrement, Mathieu Amalric est en train de devenir l’une des plus belles voix du cinéma français. Après le sublime Barbara, Amalric nous propose un récit déconstruit et organique, sur une femme qui décide (ou pas) de s’éloigner de son mari et de ses deux enfants. Menée par une Vicky Krieps bouleversante et tellement juste, Serre-moi fort porte bien son titre, le genre d’œuvre très puissante à chérir longtemps et à partager avec seulement ceux qu’on aime.

Seules les bêtes de Dominik Moll
En salle dès le 26 novembre

Avec deux comédiens déjà habitués aux Cévennes (Damien Bonnard dans Rester vertical et Laure Calamy dans Antoinette dans les Cévennes), Dominik Moll nous plonge dans sa nouvelle intrigue au cœur de cette région la moins densément peuplée de France. Raconté en trois temps, Seules les bêtes démarre sur des émotions vives, s’essouffle avec un récit outre-mer, et tente de tout ficeler maladroitement dans le dernier tiers. En voulant trop en faire, le cinéaste de l’inoubliable Harry, un ami qui vous veut du bien peine à nous convaincre et nous laisse sur notre faim.

Vedette de Claudine Bories & Patrice Chagnard
À voir en ligne

Il y a des synchronicités surprenantes dans le monde cinématographique. Au même moment où Cow sera présenté aux RIDM, de la réputée cinéaste britannique Andrea Arnold, le public de Cinémania découvrira le très attachant Vedette du duo Claudine Bories et Patrice Chagnard. Si le premier documentaire met en scène une vache digne de l’univers de la réalisatrice derrière Red Road et American Honey, nous montrant la déshumanisation de l’extraction du lait dans les imposantes fermes laitières, Vedette est davantage un portrait joyeux d’une vache de combat qui semble s’épanouir au pied des alpes françaises. Une belle surprise attachante et réjouissante.

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