En couverture

Shalom Montreal

10 mai 2018

EXPOSITION
| Élie Castiel |

Exils en la demeure

C’est la particularité de toutes les communautés autres que de s’afficher de temps en temps, question d’affirmer qu’elles existent. Pour d’autres raisons aussi : ne pas disparaître et oublier ses racines, ne pas se perdre dans la foule anonyme, dissiper tout doute de malentendus, envisager le présent et l’avenir dans une perspective universelle, tout en prenant conscience d’un exil souvent forcé. Et pour cause !

L’exposition Shalom Montréal… Histoires et contributions de la communauté juive traduit en quelque sorte cette saga qui se perd dans la nuit des temps, à partir de laquelle est né un Christianisme souverain, tantôt protecteur, mais souvent mal informé. Et pourtant, pour cette communauté en particulier, une histoire de malheureuses assimilations, de mille et une façons de réussir à survivre, d’un État proclamé dans un petit bout de territoire dans le monde… et qui coûte énormément cher. Des sentences de plusieurs états du monde libre (ou pas). Cause pour un nouvel antisémitisme qui ne date pas d’hier, changeant de peau, plus viscéral, narquois, rusé.

Et une exposition. Pour quelles raisons ? Calmer les esprits, reconnaître que la mouvance juive n’est pas si mauvaise que ça après tout et que la corruption, la trahison, les mauvais coups, même les plus bas, tous ces maux sociaux et politiques sont universels et non pas associés à un groupe en particulier.

Une chose demeure : les Juifs ont largement
contribué au discours syndical et politique.

Jusqu’à un certain point, cela se voit dans cet éventail de peintures, de livres, de croquis, d’extraits vidéo de cette touchante présentation simple, qui évite d’étaler des pièces inutiles. Des oublis, certes : tout d’abord une quasi absence de la voix sépharade, non pas la folklorique, la communautaire, parfois fortement décriée avec ou sans raisons, celle qui refuse d’arrêter de se plier aux fantômes d’un passé révolu, mais une entité laïque qui comprend quelques représentants, peu, mais contribuant à l’essor de la culture québécoise sans ôter un seul pouce de leur appartenance. Et la religion organisée n’a absolument rien à voir avec ça ! Donner des détails de l’exposition, c’est comme raconter un film ou une pièce de théâtre de A à Z. C’est, en termes d’écriture, emprunter la loi du moindre effort.

À Séquences, nous sommes catégoriquement contre. Cependant, avouons que le regretté Leonard Cohen est présent ; on n’ajoutera rien à tout ce qui a été dit déjà à son sujet, et en ce qui a trait aux juifs de langue française, Naïm Kattan, l’inégalable Baghdadi, amoureux des écrits sur les origines expose deux ou trois ouvrages bien protégés ; des petits moniteurs que vous pouvez suivre dans une des deux langues officielles du pays sont à votre disposition. Il paraît que certains de ces petits appareils visuels et auditifs sont aussi en Yiddish, langue parlée par ceux d’une autre génération issue de l’Europe de la Seconde Guerre mondiale. Une chose demeure : les Juifs ont largement contribué au discours syndical et politique.

On parle de la Shoah, bien sûr, des moments émouvants de l’exposition. Mais quelque chose qu’on n’a jamais évoqué dans la mouvance juive montréalaise sépharade et toujours absente, c’est bien la présence d’une petite communauté de Juifs qui ont vécu au Maroc, et malgré 400 ans d’exil espagnol, ont conversé la langue ibérique contre vents et marées. On n’en parle jamais. Le signataire de ces lignes est un exemple parmi tant d’autres.

Avouons que la dynamique juive montréalaise est plus complexe que celle proposée dans l’exposition Shalom Montréal. Néanmoins, ce à quoi on assiste est un salut au Québec, mais aussi un point d’interrogation, une façon comme une autre de forcer le visiteur, juif ou pas, à revoir ses idées, sa vision de la judaïcité et pourquoi pas, d’Israël. Pour enfin prendre conscience que dans ce voyage homérique judéo-chrétien, le vocable « judéo » est le plus souvent, soit galvaudé et sournoisement ou délibérément évacué. Une façon comme une autre de garder intacts les deux vocables.

Oui, les Juifs, comme les Portugais, les Italiens, les Grecs et autres nouveaux venus d’ailleurs ont contribué à faire du Québec ce qu’il est aujourd’hui, et continuent de le faire, parfois avec bruit, mais souvent sourdement, se laissant disparaître dans le cortège anonyme. Shalom Montréal, c’est le passé, entre la tourmente et la réussite sociale et économique, le présent en questionnement et le devenir avec un grand point d’interrogation. Dans un sens, témoigner pour ne pas se sentir éternellement exilé.

Cette exposition vise alors tous les Montréalais, parce que tout simplement Québécois. Point à la ligne.

Au Musée McCord – Jusqu’au 11 novembre 2018

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