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Golda’s Balcony

27 mai 2018

Critique SCÈNE
| Élie Castiel |

★★★★ ½

La Pasionaria

© Aaron Epstein

Il est clair que le récit peut scandaliser et enrager certains selon leur vision du conflit israélo-palestinien, récemment envenimé par les incidents inadmissibles et tortueux des dernières semaines. D’autant plus que la pièce de William Gibson souligne les circonstances ayant mené à la fondation de l’État d’Israël, en 1948, depuis, vivement et douloureusement contestée. Une chose est claire dans ce récit aussi intime que collectif : les Juifs avaient besoin d’une terre à eux après deux mille ans d’errance et d’antisémitisme systématique à travers le monde, sans oublier la tragédie, alors récente, de la Shoah. Mais pourquoi la Palestine? Nonobstant le souhait pour les Juifs d’un retour rêvé dans la terre de leurs ancêtres, c’est la question piège qui se pose depuis des décennies. Le conflit bilatéral, c’est une guerre de territoires, pour d’autres d’apartheid, et aussi de religion, d’intérêts économiques et ultimement, de rapport au monde. Dans ce débat politico-idéologique, on ne peut cesser de penser à cette histoire raciale millénaire, porteuse de mille et une interrogations. 

Quoi qu’il en soit, dramatiquement, on ne peut rester insensible face à l’interprétation magistrale de Tovah Feldshuh, brillante, totalement transportée et animée par le personnage de cette fervente pasionaria israélienne, née à Kiev, de parents originaires de Russie qui ont fui les pogroms du tsar pour s’établir aux États-Unis en 1903.

 Seule sur scène, la comédienne vit ce rôle avec
passion et acharnement, laissant les spectateurs rivés
à leur siège, quelle que soit leur vision des choses.

Le roi Abdullah, élu en 1922, émir de l’Émirat de Transjordanie, alors sous mandat britannique jusqu’en 1950, Moshe Dayan, David Elazar, des hommes politiques israéliens, ainsi que le pape Paul VI et Henri Kissinger figurent parmi les personnalités mentionnées dans le parcours de cette femme de fer de la politique israélienne.

© Aaron Epstein

Golda’s Balcony tourne surtout autour de ce Jour du Grand Pardon (Yom Kippour) de 1973, lorsque l’Égypte et la Syrie attaquent Israël par surprise. La scène devient l’espace d’une crise sans précédent vécue par une femme d’état face à un dilemme moral et identitaire : la survie de son peuple. Feldshuh s’empare de l’espace dramatique pour le transformer en une arène politique secrète. Un simple objet comme le téléphone devient une arme à double tranchant : vaincre ou ne pas vaincre; survivre ou pas. Golda Meir, le personnage, ne cesse d’aller de gauche à droite, de droite à gauche, assise quelques instants pour répondre au téléphone. Le suspense atteint un point culminant. Seule sur scène, la comédienne vit ce rôle avec passion et acharnement, laissant les spectateurs rivés à leur siège, quelle que soit leur vision des choses.

Car Golda’s Balcony est surtout une pièce sur le rapport entre la scène et le comédien, entre celui-ci et le public, entre les masques que l’on porte et qu’on enlève après la représentation pour les remettre le jour suivant et la vraie vie, mais surtout et avant tout, entre le vécu et l’imaginé. Le one-woman-show n’a jamais été aussi intègre, moral, dépassant de loin les dérives de l’endoctrinement, quelles que soient les convictions politiques qui traversent notre existence.

À voir pour l’amour du théâtre, par respect pour la profession. En attendant, en septembre prochain, Oslo, à Duceppe, sur les accords d’Oslo de 1993. Définitivement, ce conflit ne cessera de hanter notre mémoire collective.

© Aaron Epstein

Texte
William Gibson
Conseillère scénique
Anna Louizos
Conseillère aux costumes
Jess Goldstein
Éclairages
Jeff Croiter
Son
Alex Hawthorn
Projections
Batwin & Robin Productions, Inc.
Interprète
Tovah Feldshuh
Production
Centre Segal arts de la scène

Durée
1 h 35 (Sans entracte)

Représentations
Jusqu’au 10 juin 2018
Centre Segal

MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais.
½ [Entre-deux-cotes]

 

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