En couverture

Vues d’Afrique

14 avril 2018

Évènement
FESTIVAL

| Élie Castiel |

Préambule

La bonne humeur régnait au cours de la cérémonie d’ouverture de la 34e édition de Vues d’Afrique, rendez-vous annuel incontournable pour (re)découvrir le cinéma de ce continent. L’époque où les films de cette région du monde sortaient en salle à Montréal est depuis longtemps révolue, victime d’une politique de distribution malsaine. L’Afrique culturelle n’intéresse plus personne au-delà de certaines frontières. Du moins, c’est ce que nous sommes en droit de constater ici.

Ceci dit, nous étions conviés après la projection (est-ce qu’on utilise encore ce verbe?), ou plutôt diffusion du très beau film d’ouverture à une réception. Mais sous l’ordre des organisateurs, les invités importants (commanditaires, consuls, membres des jurys et autres privilégiés) étaient sommés de rester dans la salle où ils seraient servis sans trop de brouhaha. Quant aux autres, le hall d’entrée de l’Impérial, plein à craquer, nous a servi de lieu convivial pour tenter de savourer quelques petites bouchées (fort agréables), entassés comme des mouches. Solution : aller au Tim Hortons du coin pour s’abreuver et manger mal en paix, même si cette institution de la malbouffe reçoit dernièrement les mauvaises critiques de certains médias.

N’aurait-il pas été plus facile et démocratique de mettre tous les invités ensemble. Sur ce plan, les organisateurs ont totalement ignorer ce que le film de Férid Boughedir dénonce justement. L’an prochain, pour le 35e anniversaire, je suppose qu’ils sauront ajuster leur tir.

Zizou
Film d’ouverture

L’optimisme ne peut
se priver de révolution

Mais ne gâchons pas notre plaisir car Zizou (Parfum de printemps) / Zizou (Eater birifum), troisième partie du triptyque boughédirien, sans retenir la poésie et la sensualité de Halfaouine, l’enfant des terrasses / Asfour stah (1990) et un peu moins d’Un été à la goulette / Halk-el-Wad (1996), demeure tout de même du Boughedir consommé, adroit, allant droit au but, utilisant l’humour comme arsenal politique; la comédie est sans doute le meilleur moyen de parler des problèmes de société.

Mais la surprise du film est Zied Ayadi, Candide voltairien du pré-Printemps arabe qui, à travers mille et une rencontres finit par se rendre compte qu’au-delà de l’optimisme, il faut savoir se battre pour ses idéaux, même lorsqu’il s’agit de conquérir, à ses yeux, la plus belle fille du monde, prisonnière de ses faux beaux-parents.

Un film digne d’ouverture du festival, cette année
dédié aux femmes et qui annonce une suite prometteuse.
Nous en sommes persuadés.

L’interprète de Zizou est conquis par un quelque chose admirable qui a à voir avec l’écran et la caméra. D’un charisme qui dépasse le naturel, Boughedir le filme à sa façon, très souvent en contre-plongée, vu d’une terrasse (clin d’œil à la première partie de sa trilogie). Mais au-delà de cette référence, il y a, dans ce parti pris esthétique, une sorte de conscience politique. Entre le villageois éduqué et la famille des parvenus grâce à un système politique corrompu, une sorte de champ/contrechamp conflictuel et qui, comédie aidant, se savoure allègrement. Car le film est aussi un regard documenté sur les arrangements, les combines, les tricheries, les superstitions, la sexualité des hommes et des femmes, les paradoxes entre religion et quotidien, hypocrisies et destinées de l’existence qui font de l’humain une machine complexe.

Et que même dans les systèmes les plus démocratiques cet appareil homosapien ne peut être totalement circonspect. Un constat : le comportement de Zizou envers les femmes est quelque chose qu’on aurait voulu comme faisant partie de la norme. L’utopie n’est pas toujours irréalisable. Du moins à l’écran. Et Zizou regarde, seul debout, sur la terrasse, la mer, droit vers l’horizon, annonçant sans doute les vagues migratoires qui ont transformé la Méditerranée en tombeau.

Un film digne d’ouverture du festival, cette année dédié aux femmes et qui annonce une suite prometteuse. Nous en sommes persuadés.

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