En couverture

La Mondiola

5 avril 2018

CRITIQUE
SCÈNE
|
Élie Castiel |

★★★★

LA MAISON ET LE MONDE

En ce qui me concerne, une expérience hors du commun, irrésistible, inclusive (c’est bien le cas de le dire !), démocratisant de la bonne façon l’art dramatique, c’est-à-dire en faisant du spectateur un être sensible, intelligent et qui ne cesse d’explorer les contours de la représentation.

© Alain Saint-Onge

Lieu : le 1955 de la rue Fullum (quartier HOMA), lieu de tous les possibles et impossibles. Une résidence à plusieurs chambres (chaleureuse maison d’ailleurs !) ou a lieu le spectacle, un anniversaire qu’on doit (que nous devons) célébrer avec les hôtes-comédiens. Mais aussi un récit de triangle amoureux où un quatrième personnage peut se permettre de rêver à des possibilités amoureuses. Donc, rien de nouveau dans cette histoire de querelles féminines et de réconciliations. Et une enfant qui ne semble pas encore sortie de l’enfance. Elle crie, elle pleure, elle clame son droit d’exister. Pendant quelques secondes, deux ou trois, je caresse ses cheveux lorsqu’elle penche sa tête sur mon genoux droit, souffrant de l’absence. J’ai trouvé ce geste très attendrissant.

Et nous, les 20 spectateurs (seulement car l’endroit ne peut en accueillir plus) qui, devant cette proximité avec les principaux intervenants, nous sentons comme des intrus, des voyeurs au sens large du terme, nous immisçant dans ce bel intérieur québécois d’Hochelaga-Maisonneuve avec autant d’angoisse que de retenue.

Étrange, familier, sincèrement honnête, inclusif,
et surtout et avant  tout, ramenant le geste théâtral
aux sources de son partage et de son oralité.

Parfois, du moins c’était mon cas, on a envie d’intervenir, gestuellement et verbalement, mais le respect nous pousse aux bonnes manières et à la bonne continuité de ce récit si intime qui malgrè tout, suit les codes de la théâtralité en imposant un texte doux, poétique, grave par moments, mais, ne serait-ce que quelques minutes, refusant le réél pour nous rappeler que nous ne sommes après tout qu’au théâtre et que notre existence n’est qu’une question de masques.

Ximena Ferrer se prend pour Anna Magnani, oui celle du Rome, ville ouverte (Roma città aperta) de Roberto Rossellini, dont nous verrons un très court extrait projeté sur le mur de la cuisine). Oui, la Magnani la possède et la comédienne ne cesse de l’accueillir dans son âme et son corps. Ferrer, la comédienne, est d’une douceur infinie et son visage est d’une photogénie électrisante. Mais entre femmes, surtout lorsqu’il s’agit de remémorer la vie de Mario, le disparu, qui n’hésitait pas une seconde à conquérir les autres femmes de ce monde, elle devient tigresse adorable, face à Liliane Boucher (Camille), l’ex de Mario qu’elle porte encore en son cœur, altière, trop sûre d’elle-même, mêlant rituel entourant les cendres de son mari et la fête d’anniversaire à laquelle nous avons été conviés. Et Stéphanie B. Dumont, l’enfant-reine, celle par qui tout arrive ou pas ne se laisse pas trop voir. Après le spectacle nous la félicitant pour sa presque absence si visible pourtant. Et n’oublions pas Omar Alexis Ramos (Antonio) dont on célèbre ses 50 ans. Non, nous n’avons guère oublié Sandra Wong qui manipule ses instruments avec dextérité.

© Alain Saint-Onge

Accents québécois et latino-américains se mêlent dans un maelström de la diversité, sans doute une sincère proposition ayant pour but d’accueillir les nouveaux artistes d’ailleurs, faisant de leurs rêves dans le milieu de la culture une profession de foi des possibles.

L’expérience est haletante, sournoise, intransigeante, mais dans le même temps laissant apparaître en filigrane la non-distance entre la scène et les spectateurs. À condition, et c’est la règle, que ceux ou celles-ci partagent le même pouvoir intellectuel que les créateurs. Je suis d’avis que ce prédicat est tout à fait réalisable : le théâtre est toujours vivant.

Étrange, familier, sincèrement honnête, inclusif, et surtout et avant tout, ramenant le geste théâtral aux sources de son partage et de son oralité.

MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon. ★★ Moyen. Mauvais. ½ [Entre-deux-cotes]

Idée : Ximena Ferrer – conseiller dramaturgique : Paul Lefebvre (CEAD) – mise en scène : Julie Vincentassistante à la mise en scène et régie : Marie-Hélène Grisé – scénographie (décor) : Livia Magnani – concept musical : Michel Smith, Sandra Wong – vidéos et photos : Rodolphe St-Arneault – direction de production et surtritrage : Philippe Chevalier – distribution : Ximena Ferrer, Liliane Boucher, Stéphanie B. Dumont, Omar Alexis Ramos, Sandra Wong – production : Singulier Pluriel.

Durée
1 h 20 approx. (sans entracte)

Représentations
Tous les mercredis, jeudis et samedis à 19 h
Jusqu’au 7 juin 2018

Présenté dans une maison (1955, rue Fullum)
(Métro Frontenac)

Billets
Singulier Pluriel – 514 598-0145

 

2024 © SÉQUENCES - La revue de cinéma - Tous droits réservés.