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Les fourberies de Scapin

19 janvier 2018

CRITIQUE
[ SCÈNE ]

★★★★ 

VÉRITÉS ET MENSONGES

_ ÉLIE CASTIEL

Il est temps d’arrêter de dire que telle ou telle pièce de théâtre du répertoire classique aborde des thèmes toujours actuels. Justement, nous ne voulons plus nous identifier aux personnages. Pourquoi vraiment le faire? Nous avons compris que le comportement de l’individu fait partie de la condition humaine depuis que le monde est monde.

C’est donc dans un esprit agréablement rassembleur que nous accueillons chaleureusement le premier spectacle 2018 du TNM. Molière, comme il se doit, ne vieillit jamais. Rythme, réparties, amour inconditionnel de la langue française, la plus romantique, la plus exigeante, mais aussi capable de cynisme et d’humanité comme aucune autre – pardonnez-moi de cet élan furtif de chauvinisme non voulu! Soyons d’accord pour reconnaître que derrière ces Fourberies de Scapin, c’est l’art de l’interprétation qui domine, mais dans le même temps, un travail d’équipe qui consiste à transformer cette machine délicieusement infernale qu’est l’aventure dramatique en quelque chose de transcendant, de troublant même.

© Yves Renaud

Oui, le fourbe Scapin s’approprie les dessous et dessus d’une intrigue rocambolesque à souhait et qui finit comme tous peuvent l’imaginer. Mais bien au-delà de ce récit classique de la tradition gauloise, on se met à penser que les relations culturelles entre la France et ses pays avoisinants sont plutôt harmonieuses, comme la belle Italie qui offre sur un plateau d’argent sa commedia dell’arte que Molière manipule à bon escient, la faisant sienne le temps d’une plume bien servie.

Pour parfaire ce « discours de la méthode » théâtral, la mise en scène de Carl Béchard est grandiose (on osera dire un Franco Zeffirelli de la scène), alliant décors, costumes, accessoires, espace et chorégraphie avec un sens du rythme et de la frénésie. Les fourberies de Scapin, version TNM 2018, c’est du théâtre festif, participatif, gai (dans le vrai sens du mot, quoique… !?). Scapin, c’est André Robitaille, « lâché lousse », investissant la scène avec diablerie, opportunisme et manipulation.

Pour parfaire ce « discours de la méthode » théâtral,
la mise en scène de Carl Béchard est grandiose…
alliant décors, costumes, accessoires, espace et
chorégraphie avec un sens du rythme et de la frénésie.

Mais dans le cas de Patrice Coquereau (Argante) et Benoît Brière (Géronte), il y a, chez l’un comme chez l’autre, deux façons bien particulières et complémentaires de posséder l’espace, comme s’il s’agissait pour eux d’une seconde nature; pour Coquereau, plus proche de la célèbre commedia, la soirée devient époustouflante; pour Brière, le fantôme de Louis de Funès lui rend visite, mais il l’adopte à sa façon. C’est un comédien merveilleusement caméléon, faisant de la caricature une forme nouvelle d’expression.

Texte oblige, les femmes n’ont pas de très grands rôles, mais Marie-Ève Beaulieu (Hyacinthe) et Catherine Sénart s’en tirent convenablement. Le fils de l’un et de l’autre, Octave (Sébastien René) et Léandre (Simon Beaulé-Bulman) s’accommodent agréablement bien.  Et puis, politique culturelle aidant, la présence de Lyndz Dantiste (Carle) et de Tatiana Zinga Botao (Nérine) contribue au côté étrangement orientaliste de cette version coloré de la comédie de Molière. Avouons qu’au Québec, la culture est le dernier bastion d’intégration de l’autre, et cette mouvance sociale ne peut plus se permettre de résister. Mais en ce qui nous concerne, Les fourberies de Scapin que nous avons vu est du pur ravissement!

© Yves Renaud


Auteur : Molière mise en scène : Carl Béchard, assisté de Claude Lemelin, également à la régie –  décors : Geneviève Lizotte – costumes : Marc Sénécal – éclairages : Erwann Bernard – animation visuelle : Marcelle Hudon – musique : Carol Bergeron – chorégraphie : Bernard Bourgault – combats : Huy Phong Doan – distribution  : Simon Beaulé-Bulman, Marie-Eve Beaulieu, Benoît Brière, Patrice Coquereau, Lyndz Dantiste, David-Alexandre Després, Sébastien René, André Robitaille, Catherine Sénart, Tatiana Zinga Botao, Carol Bergeron, Marcelle Hudon, Alain Lavallée – production : Théâtre du Nouveau Monde.

Durée
2 h 30 (incl. entracte)

Représentations
Jusqu’au 17 février
TNM

MISE AUX POINTS
★★★★★  Exceptionnel.  ★★★★  Très Bon.  ★★★  Bon.  ★★  Moyen.  Mauvais.  ½ [Entre-deux-cotes]

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