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Antioche

9 novembre 2017

CRITIQUE
| Théâtre |
Élie Castiel

★★★★ 

LES MUSES ORPHELINES

Oui, tout à fait, elles sont abandonnées. Les hommes leur ont volé la parole. C’est pour cette raison, avant tout, que Antioche est un texte écrit au féminin, un cri du cœur et de l’âme exprimé à travers les vers de la poésie antique, l’exubérance de la jeunesse d’aujourd’hui et la maturité de l’âge adulte. Trois femmes, trois époques. Un mélange d’époques et de cultures. Des prénoms venus d’ailleurs : Inès, Jade et de très loin dans le temps, Antigone, qui, miraculeusement, par le biais d’une mise en scène, pour les circonstances, multiforme, transforme le temps et réinvente la notion d’intemporalité. Grâce aussi au texte libérateur de Sarah Berthiaume, octroyant au féminin une faculté d’articulation contagieuse.

TH_Antioche

Sarah Laurendeau (Antigone), à gauche; Sharon Ibgui (Inès, la mère), au centre, et Mounia Zazhzam (Jade, la fille d’Inès), à droite  >> ©  Marie-Andrée Lemire

 

Antigone, c’est Sarah Laurendeau, aux multiples accents ; tantôt la tragédienne, par moments la fière Québécoise, et la comédienne, lisant Anouilh ou Sophocle avec une grâce incomparable. Jade, c’est Mounia Zahzam, l’Arabe, celle venue d’ailleurs pour jouer un rôle qu’elle s’accapare. Oui, Jade ou prénom approprié à toutes les races, les ethnies ou les confessions. Et finalement, Inès, ou Sharon Ibgui en pleine possession de ses moyens, théâtrale, tragédienne, ouverte à toutes les possibilités, pourquoi pas la Juive fière, multipliant son jeu fait des exigences ludiques d’un Martin Faucher inspiré et des convenances de la tragédie grecque.

Le face-à-face entre Jade et sa mère est un engagement politique de la part de Faucher. Indirectement (ou est-ce un hasard ?), la barrière n’existe plus entre deux peuples sémites qui s’affrontent. Mais cela est à deviner ; c’est entre les lignes. Et pour le critique, c’est la nette conviction que son métier mérite une plus grande attention autant du public que des artistes devant et derrière la scène. Le métier de critique (les bons critiques), exige que nous analysions ce qui se cache derrière chaque œuvre et que parfois échappe aux créateurs.

Un mélange d’époques et de cultures. Des prénoms
venus d’ailleurs : Inès, Jade et de très loin dans le
temps, Antigone, qui, miraculeusement, par le biais
d’une mise en scène, pour les circonstances, multiforme,
transforme le temps et réinvente la notion d’intemporalité.

Et puis Antioche, sise dans une carte géographique qu’on reconnaît dans la manipulation du sol par les comédiennes. Car Antioche, ce n’est pas seulement voir et écouter, mais observer de près. Soudain, un  moment de pur bonheur, une chanson  interprété en anglais (accent parfait) par Laurandeau.

L’une n’est pas meilleure que l’autre. Elles s’harmonisent dans ce puzzle théâtral où le temps semble s’arrêter pour nous raconter une parcelle de la vie de la Femme. C’est aussi simple que complexe, aussi beau que triste. C’est du « théâtre de poche » (est-ce qu’on emploie encore aujourd’hui cette distinction ?). Qu’importe, j’assume !

Oui, ces trois muses sont « en crisse », orphelines des mots. Face à un aujourd’hui sali par toutes ces condamnations sexuelles majoritairement hétérosexuelles (mais également homosexuelles), Antigone sert sans doute de palliatif discursif.

MISE AUX POINTS
★★★★★  Exceptionnel★★★★  Très Bon★★★  Bon★★  Moyen★  Mauvais½  [Entre-deux-cotes]

Auteure : Sarah Berthiaume – Mise en scène : Martin Faucher, assisté d’Emmanuele Kirouac-Sanche – Éclairages : Alexandre Pilon-Guay – Son : Michel F. Côté – Vidéo : Pierre Laniel – Décors : Max-Otto Fauteux – Cost. : Denis Lavoie – Coiff. et maq. : Angelo Barsetti – Comédiennes : Sharon Ibgui (Inès, la mère), Sarah Laurandeau (Antigone, celle d’hier et celle d’aujourd’hui), Mounia Zahzam (Jade, la fille d’Inès) – Production : Théâtre Bluff.

Durée
1 h 20 (sans entracte)
Représentations
Jusqu’au 20 décembre 2017
Supplémentaire : Mardi 21 novembre (19 h 30)
Théâtre Denise-Pelletier (Salle Fred-Barry)

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