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Pourquoi tu pleures… ?

18 novembre 2016

THÉÂTRE /
CRITIQUE
★★★★

 Texte : Élie Castiel

ACCOMMODEMENTS (DÉ)RAISONNABLES

La langue populiste, où sacres et vulgarités, notamment en rapport aux gais, sont de rigueur, s’affronte à un français plus châtié utilisé par le méthodique Roger (sensible et touchant Pier Paquette), souvent pris à partie par son frère Guillaume, d’un machisme jusqu’au-boutiste (excellent Christian Bégin, s’appropriant l’espace comme s’il s’agissait d’un chez-soi). Sur ce point, la pièce du même Bégin ne fait que suivre à la lettre la nouvelle réalité où la prise de pouvoir social d’un populisme qu’on croyait éteint reviens en force, et comme toujours dans ce genre de phénomène, sans s’annoncer.

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L’ensemble des comédiens (PHOTO : © Yves Renaud)

Tout particulièrement, Pourquoi tu pleures… ? est une pièce sur la famille, sur son dysfonctionnement, ses ententes, ses positionnements, ses traîtrises et encore, sur ses accommodements (dé)raisonnables.

Ils sont cinq chez les Bérubé : Yvon, le père (Pierre Curzi, un peu hésitant au tout début, mais habile et solide par la suite), qui vient de mourir en laissant un testament ; Colette, la mère, porteuse de secrets et de vérités (impériale Sophie Clément, la plus belle performance de la soirée, évoquant l’approche michel-tremblay dans ce qu’elle a de meilleur) et puis Roger, le comptable aguerri, et les sœurs Manon et France, respectivement Marie-Charlebois (également metteure en scène) et Isabelle Vincent, toutes deux fort efficaces.

C’est un texte cruel, sans-gêne, corrosif, d’une lucidité
sans précédent face aux temps actuels. Et quelle aisance
pour passer de la comédie au drame ; les comédiens suivent
un décor unique où les éclairages et un son particulier
marquent le temps. Flashbacks et temps présent  se confondent
dans ce portrait familial d’une rare acuité. Aucun temps mort…

L’originalité de la pièce réside aussi dans la présence au casting de l’auteur et de la metteure en scène, rendant l’expérience théâtrale d’un réalisme saisissant. Mais au-delà de la famille, il est question, en filigrane, de la fin des classes sociales, sans doute dû au phénomène de la mondialisation où tout se mélange et se confond, donnant la possibilité à de nombreux opportunistes de s’enrichir. Ce sont des parvenus dont le comportement n’a pas changé d’un iota, se mêlant au monde tel des robots en constante mutation.

C’est un texte cruel, sans-gêne, corrosif, d’une lucidité sans précédent face aux temps actuels. Et quelle aisance pour passer de la comédie au drame ; les comédiens suivent un décor unique où les éclairages et un son particulier marquent le temps. Flashbacks et temps présent  se confondent dans ce portrait familial d’une rare acuité. Aucun temps mort ; le spectateur est submergé dès les premières secondes. Ça sera ainsi jusqu’à la toute fin.

Christian Bégin est féroce sur le temps présent, mais garde néanmoins la joie de vivre, une certaine forme d’espoir qui, même si utopique pour l’instant, se réalisera selon la course du monde depuis des siècles. Ce regard humaniste, Marie Charlebois l’adopte aussi dans sa mise en scène moderne, poignante, bouleversante de vérité et usant la dérision comme palliatif à nos frustrations. Et quelle idée nostalgiquement magistrale de finir tout ce bordel jouissif avec du Gilbert Bécaud !

Pourquoi tu pleures… ?, une des plus belles suprises de la saison théâtrale.

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Texte : Christian Bégin – Mise en scène : Marie Charlebois – Assistante-Mise en scène : Alexandra Sutto – Son : Mykalle Bielinsky –Scénographie : Max-Otto Fauteux – Éclairages : Martin Labrecque – Costumes : Elen Ewing –   Musique  : Philippe Brault –– Distribution  : Christian Bégin (Guillaume Bérubé), Marie Charlebois (Manon Bérubé), Sophie Clément (Colette Bérubé [née Dumais], Pierre Curzi (Yvon Bérubé), Pier Paquette (Roger Bérubé), Isabelle Vincent (France Bérubé  – Création : Les Éternels Pigistes – Production : Théâtre du Nouveau Monde | Durée : 1 h 35 (sans entracte) – Représentations : Jusqu’au 10 décembre 2016 – TNM.

MISE AUX POINTS
★★★★★ (Exceptionnel).  ★★★★ (Très Bon).  ★★★ (Bon).  ★★ (Moyen).   (Mauvais).  ½ [Entre-deux-cotes]

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