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Alanis Obomsawin : Prix Albert-Tessier 2016

7 novembre 2016

HOMMAGE
Texte : Charles-Henri Ramond

LA FORCE DES CONVICTIONS

Alanis Obomsawin, première réalisatrice autochtone au Québec, recevra le prix Albert-Tessier 2016. Au cours de sa longue et prolifique carrière à l’Office national du film du Canada (ONF) [1], elle est indiscutablement devenue l’une des plus grandes documentaristes au Canada. Cette récompense, la  plus  haute  distinction cinématographique québécoise, couronne l’ensemble de sa carrière et atteste la richesse de son impressionnante contribution au cinéma d’ici, en plus de souligner la force imperturbable des convictions de la cinéaste, sans cesse engagée dans la lutte contre les injustices vécues par les Premières Nations.

Pour redécouvrir son œuvre, quoi de mieux que de commencer par quatre de ses films phares portant sur les événements d’Oka de l’été 1990. Œuvres indispensables et qui gardent vingt ans plus tard les traces d’une actualité encore brûlante, ces films sont disponibles en ligne sur le site web de l’ONF ou dans un coffret DVD. Voilà ce qu’en disait en 2008 notre collègue Luc Chaput dans un texte intitulé « Alanis Obomsawin : pour la suite d’un monde autochtone » [2].

Alanis Obomsawin, documentariste, chanteuse, artiste, éducatrice et militante - © Office national du film du Canada. Photo: Rafy

Alanis Obomsawin, documentariste, chanteuse, artiste, éducatrice et militante – © Office national du film du Canada (Photo: © Rafy)

Née près de Lebanon, New Hampshire, aux États-Unis fin août 1932, elle est amenée rapidement à Odanak, réserve abénaquise au nord-est de Montréal sur la rivière Saint-François, où elle passe la majorité de son enfance, apprenant l’histoire et la culture de son peuple en écoutant les récits de son parent Théophile Panadis, conteur émérite. Elle croise par ailleurs la famille de l’annonceur et lecteur de nouvelles à Radio-Canada Jean-Paul Nolet, né Jean-Paul Wawanoloat,  dont le père fut chef de la réserve pendant 35 ans.

Sa famille déménageant à Trois-Rivières, elle connaît le racisme ordinaire du milieu de l’éducation québécois d’alors, ce qui fortifie son caractère. Inspirée par Théophile, elle commence dans la vingtaine une carrière de conteuse et chanteuse qui lui permet de côtoyer la bohème montréalaise [3]. Une rencontre avec John Grierson, après un portrait télévisé sur elle présenté à la CBC, lui ouvre les portes de l’ONF où elle commence à travailler à divers projets et où elle acquiert ses galons avec des œuvres comme No Address et Richard  Cardinal: Cry from the Diary of a Métis Child.

En juillet 1990, le début de la crise d’Oka l’incite à constituer rapidement une équipe de tournage et à se rendre immédiatement sur les lieux pour être témoin direct de cet événement dont elle devine l’importance. Elle sera la seule journaliste-cinéaste-reporter à vivre les deux mois et demi de la crise à Kanesatake même. Elle peut ainsi enregistrer de multiples bandes-son pour compléter les 180 heures d’images tournées. Cet acharnement physique et intellectuel lui servira lors du montage de ces kilomètres de pellicule avec l’aide de Yurij Luhovy.

À revoir ces quatre films sur trois DVD que sont Kanehsatake: 270 Years of Resistance, My Name is Kahentiiosta, Spudwrench Kahnawake Man et finalement Rocks at Whiskey Trench, l’on remarque tout d’abord l’imbrication des uns dans les autres, un personnage secondaire d’un film est le principal de l’autre. Mue par son éducation autochtone, qui privilégiait la transmission orale des acquis, la cinéaste accorde une très grande place à la parole de chacun. Elle souligne l’importance de la parole donnée dans les négociations. Obomsawin fournit un véritable cours d’histoire sur l’évolution  des peuplements iroquois autour de Montréal, ce qui permet de mieux comprendre les frustrations accumulées qui ont mené à l’éclatement de la crise de 1990. Comme dans Incident at Restigouche, son film précédent sur un affrontement entre la Sûreté du Québec et des autochtones, elle met en lumière la solidarité des peuples premiers de l’Amérique du Nord, qui viennent en aide à leurs frères dans les moments difficiles.

Ces quatre documentaires constitueront, pour certains, des œuvres difficiles à regarder à cause des violences montrées et décrites (spécialement dans Spudwrench et dans Rocks), mais ils ont l’avantage de constituer un point de départ pour des discussions sur la place des Premières Nations dans notre monde changeant.

Références
[1] : Au cours de ses quarante ans de carrière, Mme Obomsawin a réalisé près de 50 films. Sa dernière réalisation, On ne peut pas faire deux fois la même erreur, sera projeté en première québécoise aux RIDM dans quelques jours.

[2] : « Alanis Obomsawin : pour la suite d’un monde autochtone » Luc Chaput – Séquences : la revue de cinéma, n° 256, 2008, p. 32.

[3] Leonard Cohen s’inspirera d’elle pour créer un des personnages de son roman Beautiful Losers.

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