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Oxygène

18 septembre 2015

A BOUT DE SOUFFLE

Élie Castiel
THÉÂTRE
★★★★

Plus tôt cette année, en mars 2015, nous sortions fort étonnés de l’adaption d’Illusions, autre œuvre charnière de l’auteur russe Ivan Viripaev. La jeune quarantaine, le dramaturge iconoclaste reflète une vision de la vie totalement marquée du sceau de la réflexion, de la remise en question, de l’interrogation sur le processus d’adaptation sociale de l’individu. Mais sa véritable quête semble être celle des origines, de ce qui fait que le société occidentale est, aujourd’hui, ainsi faite.

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PHOTO : © Matthew Fournier

Penseur de son temps, Viripaev place l’individu au centre de sa destinée, comme s’il s’agissait, mine de rien, de trouver un exutoire à ses maux, ses dérives, ses multiples incertitudes. Si l’on se fie à la traduction d’Élisa Gravelot, Tania Mogulevskaia et Gilles Moret, Oxygène, maintenant en reprise après un succès bien mérité, est surtout un essai expérimental sur la parole, sur son poids sur l’inconscient, sur sa supériorité vis-à-vis les diverses sphères d’influence dans la vie d’un individu.

La mise en scène de Christian Lapointe désoriente, stimule le spectateur autant qu’il le désamorce momentanément pour mieux le rattraper. Ce va-et-vient intellectuel est voulu. Il y a là une sorte de participation, de parti pris narratif qui consiste à ce que l’auditoire ne succombe pas aux pièges fragiles et manipulateurs de la passivité.

Nous sommes constamment surpris, incommodés, touchés, émus, désemparés devant ce flot de paroles parfois insensées, sans but, mais tout autant vraies, mûres, extraordinairement calculées par une écriture sensuelle et béate devant la vérité humaine. Il est question de tout et de rien, de mariage et d’invidualisme, mais surtout de religion, notamment en ce qui a trait à l’Ancien Testament, berceau de la civilisation judéo-chrétienne, dont les Dix Commandements prennent ici des allures de tableaux vivants que les auteurs reprenent selon leurs idéologies contemporaines.

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PHOTO : © Matthew Fournier

Moïse est respecté autant que blâmé, le Christianisme, d’une certaine façon secte du judaïsme, se retrouve ainsi jugé. La religion, dans son ensemble, est donnée en pâture aux spectateurs. La salle est une tente blanche, comme un mini chapiteau de cirque intinérante ou bien encore l’enclos de campagne d’un prêcheur évangéliste de la bonne nouvelle ; les fauteuils traditionnels sont remplacés par des tables entourées de chaises de jardin. Il fait chaud, autant dans la scène, éclairée comme dans un spectacle de fête foraine, que dans la salle où l’espace entre les spectateurs est restreint.

Ève Pressault et Éric Robidoux, tous les deux exemplaires, participent à ce ballet de la vie totalement déjanté, hors du temps, en symbiose avec une société qui ne sait où elle se dirige. Il y a des calmes, des tempêtes, des pirouettes et des jeux inoffensifs. Sur scène, les comédiens sont à bout de souffle et c’est dans cette condition qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes, d’autant plus vrai que leur interprétation est autant physique qu’orale, jouant avec les cordes vocales comme rarement vu ailleurs.

Cette approche on ne peut plus brechtienne reprend ses titres de noblesse, posant la question cruciale sur la notion de spectature : vers qui se dirige le théâtre ? Ce n’est là qu’une question, mais posé avec une telle insistance qu’elle permet la transition entre le théâtre traditionnel et celui engagé, indépendant, ne se soumettant à aucune règle, sauf la création.

Avec Oxygène, le Théâtre Prospero inaugure la saison 2015-2016 avec dignité, bravoure et tout particulièrement avec une maturité débordante de vie et d’espoir.

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PHOTO : © Matthew Fournier

revuesequences.org

Auteur : Ivan Viripaev – Adaptation / Traduction : Élisa Gravelot, Tania Moguilevskaia, Gilles Morel, d’après Kislorod de Viripaev – Mise en scène : Christian Lapointe – Scénographie / Costumes : Geneviève Lizotte – Éclairages  : Martin Sirois – Musique : Christian Lapointe – Son : Bernard Grenon – Comédiens  : Èves Pressault, Éric Robidoux| Durée : 1 approx. (sans entracte)  – Représentations : Jusqu’au 3 octobre 2015 – Théâtre Prospero (Salle principale).

MISE AUX POINTS
★★★★★ (Exceptionnel). ★★★★ (Très Bon). ★★★ (Bon). ★★ (Moyen). (Mauvais). ½ [ Entre-deux-cotes ]

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