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Les Deux Voyages de Suzanne W.

10 mai 2015

ROAD PLAY

Élie Castiel
THÉÂTRE
★★★★

Un nom à bien retenir, celui du Français Marc Lainé. Une plume aussi limpide que brumeuse, libre, à l’instar des paysages nordiques autochtones qu’elle décrit. En quelque sorte, une écriture qui s’impose dans un territoire nu, comme s’il s’agissait de l’apprivoiser et de se laisser en même temps amadouer.

Les personnages de la dernière pièce de la saison 2014-2015 à Espace Go sont ainsi conçus. Perdus et pris par une étrange envie de s’infiltrer dans un espace quasi vierge, un non-lieu peu hospitalier qui les accueille néanmoins dans leur long processus identitaire.

TH_Les Deux Voyages de Suzanne W.

Sylvie Léonard et Pierre=Yves Cardinal, en voiture et à l’écran (PHOTO : © Patrick Berger)

Ne reprenons pas la fâcheuse habitude de tout raconter. Laissons au spectateur le soin de découvrir les multiples facettes d’un essai théâtral expérimental choyé par la tentation de mêler mouvements scéniques et cinéma. D’où le décor inventif, inusité et magnifiquement élaboré de Marc Lainé. Le metteur en scène français, attiré comme une grande partie de ses compatriotes, par l’aventure nord-américaine des espaces nordiques, s’est laissé convaincre par Ginette Noiseux, directrice de l’Espace Go, de situer l’action dans le Grand Nord québécois.

Prendre la route de la baie James en passant par des lieux mythiques comme le village de Waskaganish, en passant par Amos et Matagami, pour un retrour par Chibougamau, n’est que le reflet d’un parcours où la légende se confond miraculeusement à la modernité pour finalement produire, voire même exiger, une sorte de dialogue entre les concepts d’appartenance et celui de rapport à l’autre.

Nul doute que Les Deux Voyages de Suzanne W. demeure
l’une des productions théâtrales des plus originales de la saison,
sommant le spectateur à remettre en question son regard,
sa faculté de comprendre les nouveaux codes de la narration
scénique, et dans le même l’amadouer à une nouvelle forme
de mise en scène qui ose encadrer de multiples disciplines.

Dans ce voyage d’aller-retour qu’entreprend la Suzanne W. du titre (très solide Sylvie Léonard dans un rôle atypique qu’elle défend avec virulence), les frontières entre le privé et le partagé se font de plus en plus minces. L’auto-stoppeur (efficace et naturel Pierre-Yves Cardinal) pris par la soudaine mélancolie qui l’assiège dans sa quête de la bien-aimée (la Française Marie-Sophie Ferdane, d’une imposante présence scénique et possédant une voix aussi sensuelle que magnétique pour le chant) représente une sorte de répit au drame Suzanne W.

Mais il y a la mise en place d’un dispositif scénique, trois écrans géants placés dans une scène qui occupe toute son horizontalité. Aucun détail n’est laissé au hasard. Le spectateur doit décider entre jeter son regard sur l’écran, montrant la même scène qui se déroule live, ou au contraire, reprendre ses habitudes théâtrales. Côté image animée, il y a du Hitchcock pour son suspense routier, du Wenders pour ses échappées sur des routes immaculées interminables dans une Amérique de légende. Ces allusions à un cinéma primaire où les effets spéciaux se font par procuration, rendent la pièce encore plus déroutante.

Nul doute que Les Deux Voyages de Suzanne W. demeure l’une des productions théâtrales des plus originales de la saison, sommant le spectateur à remettre en question son regard, sa faculté de comprendre les nouveaux codes de la narration scénique, et dans le même l’amadouer à une nouvelle forme de mise en scène qui ose encadrer de multiples disciplines. Ce n’est pas vraiment nouveau, mais de le cas de cette création franco-québécoise, véritable road play, le concept dépasse le plus souvent, et de loin, le simple acte de la représentation.

revuesequences.org

LES DEUX VOYAGES DE SUZANNE W. / VANISHING POINT | Texte : Marc Lainé – Mise en scène : Marc Lainé – Scénographie : Marc Lainé, assisté d’Aurélie Lemaignen – Éclairages : Kévin Briard – Musique : Les musiciens de Moriarty – Vidéo : Benoît Simon, Baptiste Klein Costumes : Elen Ewing – Collab. artistique : Tünde Deak – Comédiens : Pierre-Yves Cardinal, Marie-Sophie Ferdane, Sylvie Léonard, les musiciens de Moriarty | Durée : 1 h 20 (sans entracte)  – Représentations : Jusqu’au 23 mai 2015 – Espace Go.

MISE AUX POINTS
★★★★★
Exceptionnel★★★★ Très Bon★★★Bon★★ Moyen Mauvais½ [Entre-deux-cotes]

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