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Le Tour du monde en 80 jours

2 mai 2015

LUDIQUE ET D’UNE INSOUCIANCE VERTIGINEUSE

Élie Castiel
THÉÂTRE
★★★★ ½

Est-il nécessaire de raconter les nombreuses péripéties de la folle aventure globetrotteuse de l’extravagant et très Britannique Phileas Fogg, imaginé par l’inventif et audacieux Jules Verne ? D’ailleurs, donner des détails sur un film ou sur une production théâtrale (ou autre performance scénique), c’est simplement gâcher le plaisir de la découverte. Et dans Le Tour du monde en 80 jours, c’est d’autant plus approprié que bienveillant.

C’est donc le travail des concepteurs qui nous animent le plus à discourir sur cette dernière présentation de la saison 2014-2015 du TNM. Pièce de résistance parce qu’elle s’adresse à un auditoire « tout public », pour ses extravagances, son décor phénoménal à la fois circulaire et horizontal, ses situations, sa folie contagieuse, l’interprétation de tous les comédiens, comme pris par un vent de délire jubilatoire qu’ils manipulent à leur guise, rendant l’espace théâtral un véritable terrain de jeu pour adultes-enfants consentants.

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Le tour du monde en train (PHOTO : © Yves Renaud)

Et c’est tant mieux ! Le spectateur rejoint cette soudaine liberté acquise pour se replonger dans ses bravades de jeunesse, ses calembours virtueux, ses chicanes chimériques, son rapport idéalisé à la vie, son insouciance.

Pendant deux heures, nous sommes pratiquement incrustés dans le ventre de la mise en scène totalement intrépide et ludique de Hugo Bélanger, comme saisis par une étrange envie de ne pas rater cette unique occasion d’être ramenés à l’enfance. Mise en montage énorme, sublime, d’une puissance visuelle féérique qui traverse nos sens au premier degré, sans limites, sans préjugés, et surtout sans jugement. Comme l’enfance, simplement libre.

Entre les frères Marx et Fellini, entre le magique et
imprévisible spectacle forain venu d’une époque révolue
et la mise en situations d’un roman extraordinaire refusant
à tout  prix son apport contemporain, Le Tour du monde en 80 jours
nous  laisse une  sensation de bien-être qui nous envahit pendant
longtemps, justement parce que Bélanger a eu recours à une
dramaturgie vieille-école qu’il fait adroitement renaître de ses cendres.

L’invraisemblable devient ici matière à réflexion, les prouesses vertigineuses d’un autre âge se transforment en effets spéciaux épiques, le spectacle forain s’avère d’un délicieux magnétisme.

Il y a une panoplie de personnages, comme on s’y attend. Dans le rôle de Fogg, Benoît Gouin confirme son registre de grand comédien, alliant flegme, classe, contrôle de soi et finalement répondant à l’appel des sentiments. Et bien entendu, son sous-fifre, Stéphane Breton, étonnant Jean Passepartout qui déclenche le rire autant par ses réparties bien ancrées dans l’absurde comique que par une présence scénique dont les gestes relèvent autant de la commedia dell’arte que de l’art circassien. Et puis, Carl Béchard, dominé par son rôle d’Inspecteur Fix, au jeu totalement délirant et vaudevillesque.

Sans oublier la Princesse Aouda, incarnée sensiblement par la gréco-québécoise Tania Kontoyanni. Naturelle, tragédienne dans la comédie, se servant majestueusement d’une idée à l’ancienne de l’art d’interprétation. Sur ce point, le TNM (comme sans doute d’autres théâtres québécois) donnent de plus en plus de rôles aux artistes issus d’autres communautés culturelles. S’intégrer et/ou s’assimiler à l’imaginative culture québécoise, c’est non seulement l’apprécier, mais y participer activement et s’y reconnaître. Le ton est donné. Il faut espérer que cette aventure se poursuive pour devenir finalement norme.

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Le tour du monde en ballon/montgolfière (PHOTO : © Yves Renaud)

Entre les frères Marx et Fellini, entre le magique et imprévisible spectacle forain venu d’une époque révolue et la mise en situations d’un roman extraordinaire refusant à tout prix son apport contemporain, Le Tour du monde en 80 jours nous laisse une sensation de bien-être qui nous envahit pendant longtemps, justement parce que Bélanger a eu recours à une dramaturgie vieille-école qu’il fait adroitement renaître de ses cendres.

Ne serait-ce que le temps que dure le spectacle, par les temps qui courent, violent, agressifs, sans véritables buts de lendemains, cette bouffée d’air frais ne peut s’avérer que plus accueillante.

revuesequences.org
LE TOUR DU MONDE EN 80 JOURS
| Auteur : Jules Verne – Adaptation / Mise en scène : Hugo Bélanger – Scénographie : Francis Farley-Lemieux, assisté de Patrice Charbonneau-Brunelle – Éclairages  : Luc Prairie – Musique / Son  : Patrice d’Aragon – Costumes : Marie Chantale Vaillancourt – Comédiens (par ordre alphabétique) : Carl Béchard (Inspecteur Fix), Stéphane Breton (Jean Passepartout), Éloi Cousineau (Rôles multiples), Maude Desrosiers (Rôles multiples), Benoît Gouin (Philéas Fogg), Tania Kontoyanni (Princesse Aouda), Carl Poliquin (Rôles multiples), Patrice d’Aragon (Rôles multiples) | Durée : 2 h (+ 1 entracte)  – Représentations : Jusqu’au 23 mai 2015 – TNM (Théâtre du Nouveau Monde).

MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon. ★★ Moyen. Mauvais. ½ [ Entre-deux-cotes ]

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