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Judy Garland, la fin d’une étoile

14 avril 2015

Nostalgie, quand tu nous tiens

Élie Castiel
THÉÂTRE
★★★★

De saison en saison, toujours conforme à sa mission depuis ses débuts, la compagnie Jean Duceppe (désormais simplement « Duceppe », pour les initiés) produit des adaptations de pièces du répertoire anglophone. Ce choix délibéré tout à fait assumé, sans complexes, reflète une prise de position politique selon laquelle tout en favorisant une identité québécoise – comme preuve à l’appui, des pièces d’ici d’auteurs confirmés sont régulièrement présentées –, revendique sa position territoriale et culturel nord-américaine. Entre le théâtre engagé et celui plus populaire, Duceppe peut compter sur la présence de comédiens chevronnées qui n’ont plus rien à prouver.

Dans le cas de Judy Garland, la fin d’une étoile, nous sommes agréablement confrontés devant une adaptation binaire, la fiction montrant les dernières semaines de l’actrice-chanteuse culte et, en parallèle, sa présence sur scène, où défile un répertoire musical enivrant.

TH_Judy Garland - La fin d'une étoile

Linda Sorgini (Judy Garland) et Roger La Rue (Anthony, au piano, en arrière-plan) | PHOTO : © François Brunelle

1968 : année de tous les changements, notamment celle émanant de mai-68, emportant aux calendres grecques les derniers vestiges d’un ancien régime aussi social que politique comme un raz-de-marée, et qui se répercute à travers l’Occident. Et dans ce monde de vedettes adulées d’une autre époque, nous devenons les témoins d’une ère qui disparaît comme peau de chagrin.

Côté fiction, nous sympathisons avec Judy Garland, la vedette en proie à ses démons intérieurs qu’elle extériorise par doses d’enfantillages, de caprices exténuants, de médicaments et d’alcool. Dans le rôle principal, Linda Sorgini, entière, impériale, personnifie l’étoile déchue avec autant d’impertinence que d’humanité. Et pourtant, comme nombreuses vedettes de son époque, aucune affiliation politique (du moins si on en juge par la pièce), un individualisme de star qui se perd dans un monde nouveau qui a des comptes à régler avec ses anciens décideurs, ses politiciens et les tenants d’une morale révolue. Et dans lequel la célébrité doit assumer sa portée collective.

Prisonnière d’un monde qui s’écroule, la Garland de Quilter est inconsciemment consciente de sa finitude, baignant dans le déni. Elle n’a plus plus rien à perdre et tout à oublier. De son côté, Éric Robidoux incarne adéquatement un Mickey, amant d’autrefois qui n’a plus sa place dans la société. D’une certaine façon, il devra se recycler après la disparition de sa protectrice. Et puis Anthony, celui par qui la nostalgie arrive, voulant retenir à tout prix cette époque tant bénie où seuls le glamour, le spectacle et la création brillaient de tous leurs feux. Il est gai, et Roger La Rue rend véridiquement intact ce personnage. C’est là une caractérisque que la plupart des membres de la communauté homosexuelle conservent encore aujourd’hui, même si leurs positions politiques ont nettement gagné du terrain.

Le décor d’Olivier Landreville permet le changement de lieu avec un savoir-faire extraordinaire. Il suffit qu’un rideau se baisse et que quelques meubles d’une luxueuse chambre d’hôtel disparaissent pour que le tout se transforme en scène de théâtre. Quant à la mise en scène de Poirier, elle permet le parallélisme des situations de façon remarquable. Sans la partie chantée, la pièce n’aurait duré qu’à peine au-delà d’une heure. Le jeune metteur en scène semble pleinement au courant et construit ainsi un arsenal de mise en situations qui témoigne d’une expérience scénique. Il est dommage que dans le dialogue, les interprètes, notamment Sorgini, oscillent entre un français international et un québécois intermédiaire. Mais ce n’est là qu’un détail.

Et puis Garland/Sorgini, la chanteuse. La partie la plus intéressante. Linda Sorgini donne la chair de poule. Nous reconnaissons ces refrains écoutés depuis des décennies. Mais c’est aussi dans l’interprétation, dans les gestes étendues, dans les mimiques si caractéristiques d’une chanteuse singulière, dans le rapport qu’elle entretient avec les spectateurs ; son charisme, l’art indicible de vendre intentionnellement son âme au diable, consciente de sa présence, comme si ces instants étaient les derniers d’une vie.

Avec Judy Garland, la fin d’une étoile, Duceppe clôt la saison 2014-2015 avec grâce, quintessence, sensualité, et particulièrment avec un brin de nostalgie qui suscite la paix de l’âme.

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JUDY GARLAND, LA FIN D’UNE ÉTOILE
| Auteur : Peter Quilter – Traduction : Michel Dumont, d’après End of the Rainbow, de Peter Quilter – Mise en scène : Michel Poirier – Décor : Olivier Landreville – Éclairages :Lucie Bazzo – Musique : Christian Thomas – Costumes : Pierre-Guy Lapointe – Accessoires : Norman Blais – Comédiens : Linda Sorgini (Judy Garland), Roger La Rue (Anthony), Éric Robidoux (Mickey) | Durée : Environ 2 h (1 entracte)  – Représentations : Jusqu’au 16 mai 2015 –
Duceppe.

MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel.  ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon. ★★ Moyen. Mauvais. ½ (Entre-deux-cotes)

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