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Intouchables

27 mars 2015

Le goût sublime de l’altérité

Élie Castiel
THÉÂTRE
★★★★

La rencontre entre deux hommes de classes sociales différentes, dont l’un est atteint de tétraplégie, provoque une série d’événements aussi cocasses que dramatiques qui se solderont pas la naissance d’une solide amitié.

Sans rien enlever à la qualité indéniable d’Intouchables, le film du duo Éric Toledano-Olivier Nakache, il était évident qu’entre les mains de René Richard Cyr, l’adaptation théârale prendrait une tournure toute autre. En étroite collaboration avec Emmanuel Reichenbach, la réalité française se transforme ici en une dynamique sociale québécoise qui, consciemment, célèbre la langue d’ici avec un amour qui se conjugue au plus-que-parfait. Et bien encore, nous avons droit à des situations qui reproduisent la réalité québécoise dans toutes ses transformations, ses ambiguïtés, ses nuances, se faux-pas et ultimement, sa grande diversité d’esprit. Mais surtout, son éternelle et franche humanité.

TH_Intouchables

Michelle Labonté, Luc Guérin et Antoine Bertrand (PHOTO : © François Laplante-Delagrave)

Ce qu’il y a de véritablement hallucinant et de
rafraîchissant chez Antoine Bertrand, c’est qu’il appartient
à une nouvelle race d’artistes de scène, dont le but ultime
est de transformer de fond en comble l’art d’interprétation.

Évitons une fois pour toutes de comparer le film à la pièce. Prenons Intouchables, l’avant-dernier spectacle de la saison TRV 2014-2015 pour ce qu’il est. Un hommage – drôle, sublime, coloré, excessif dans ses limites, sans-gêne, bref, autant de qualificatifs qu’on pourrait lui attribuer – au théâtre québécois et à sa grande diversité.

Dans un territoire national où, malgré les apparences, l’altérité s’impose au quotidien, la métaphore du rapport à l’autre est en soi un geste presque politique, même dans sa démesure. Deux classes sociales s’imbriquent ici l’une à l’autre pour finalement produire un portrait concret de l’expérience humaine. Comment déclencher une telle proposition si ce n’est que pas la truchement d’une mise en scène totalement surprenante, jouant la carte grand public et provocant le spectateur dans ses cordes les plus sensibles. Comique et sérieux ne cessent de se faire face, l’un essayant de persuader l’autre du bien fondé de sa présence, et vice-versa. C’est là où réside la magie de la mise en situations de Cyr ; occuper l’espace scénique pour le situer dans l’univers des possibles. Sur ce point, on soulignera un décor sobre, mais efficace, qui rompt allègrement avec les espaces surpeuplés. Cet économie de moyens ne rend l’expérience théâtrale que plus palpable et spontanée.

Mais cela est également possible grâce au grand talent des comédiens. Ce qu’il y a de véritablement hallucinant et de rafraîchissant chez Antoine Bertrand, c’est qu’il appartient à une nouvelle race d’artistes de scène, dont le but ultime est de transformer de fond en comble l’art d’interprétation. Entre naturalisme poétique et déconnade communicative, il y a, dans cette nouvelle approche du rôle à défendre, une sorte de complicité à la fois proche et distanciée avec le public. Dans cette salutaire entreprise d’identification, la scène n’a jamais été aussi proche de la réalité.

Tout le contraire de Luc Guérin, plus enclin à l’approche classique, et toujours aussi pure et nécessaire. Classicisme et modernité, si on peut les appeler ainsi, s’entrechoquent ainsi pour réussir à construire quelque chose d’instantané, d’impulsif, de vachement libérateur pour l’œil et l’esprit.

C’est la devise même de René Richard Cyr, en pleine forme, comme frappé par un coup de tonnerre bénéfique dans une adaptation théâtrale d’une formidable force motrice. Quand le théâtre grand public parvient à gagner son pari avec tant d’audace et de  style, on ne peut se sentir que plus heureux !

revueséquences.org
Auteurs
 : D’après le film d’Éric Toledano et Olivier Nakache – Adaptation : Emmanuel Reichenbach, en collaboration avec René Richard Cyr – Mise en scène : René Richard Cyr – Scénographie : Genevière Lizotte – Éclairages  : Martin Labrecque – Musique : Alain Dauphinais – Costumes : Cynthias St-Gelais – Comédiens  : Antoine Bertrand, Luc Guérin, Marie-Evelyne Baribeau, Chantal Baril, Jean-Carl Boucher, Simom Labelle-Ouimet, Michelle Labonté, Jean-Philippe Lehoux, Frédéric Paquet, Véronic Rodrigue | Durée : 2 h approx. (incluant entracte)  – Représentations : Jusqu’au 24 mai 2015 –
Théâtre du Rideau Vert et autres salles de spectacle

MISE AUX POINTS
★★★★★ (Exceptionnel). ★★★★ (Très Bon). ★★★ (Bon). ★★ (Moyen). (Mauvais). ½ (Entre-deux-cotes)

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