En couverture

Chatroom

5 mars 2015

Tribune libre

Élie Castiel
THÉÂTRE
★★★ ½

Ils sont six adolescents d’aujourd’hui, deux jeunes filles et deux jeunes hommes. Leur crédo : le chat (clavardage), comme s’il s’agissait d’une question de vie ou de mort, pour parler, pour se défouler, pour qu’on soit du même avis, de la même lutte contre les parents et bien plus, contre la société des adultes.

Ils se cherchent par les mots, provoquent le discours à l’emporte-pièce, philosophent comme si ce qu’ils ont appris à la télé et dans les réseaux sociaux suffisait pour se permettre quelques semblants de réponses aux multiples interrogations. Mais ils sont à l’âge où le futur se décide. Que seront-ils et qui seront-ils dans quelques années ?

PHOTO : Jean-Philippe Baril-Guérard

PHOTO : © Jean-Philippe Baril-Guérard

Jim (étonnant Simon Baulé-Bulman) extériorise ses frustrations. Les cinq autres protagonistes lui donnent la réplique, ou plutôt les conseils afin qu’il réorganise sa vie. Ils ont tous des réponses. Leurs âges leur impose cette liberté d’assumer avant même que la raison ne vienne remettre leurs simples convictions en équilibre.

La traduction d’Étienne Lepage à partir de la pièce d’Enda Walsh brille par l’exactitude des mots. Adaptée dans un contexte québécois moderne, Chatroom est d’une épineuse actualité. Dans leurs discours, aucun lien à la politique, ni à l’art, ni à la science, mais uniquement touchant des questions existentielles. La plume de Lepage est vive, colorée et vachement visuelle. Les éclairages chromatiques d’André Rioux cristalise adéquatement les  états d’âme de ces adolescents en quête éperdue de sens.

Mais il y a aussi un metteur en scène. Sylvain Bélanger se permet un espace géométrique où domine l’horizontalité. Les situations sont ainsi vues sous un seul angle. Faisant face aux spectateurs tels des témoins de conversations privées, les protagonistes éveillent notre conscient collectif et font transparaître notre involontaire indiscrétion. Pour rendre ces personnages aussi documentaires que possible, il n’y a pas que la langue, mais des comédiens qui façonnent asctucieusement leurs rôles. Sur ce point, le théâtre québécois n’a rien à crainde. Avec les nouvelles générations de comédiens, cet art de la représentation est indubitablement entre de très bonnes mains.

Faisant face aux spectateurs tels
des témoins de conversations privées,
les protagonistes éveillent notre conscient
collectif et font transparaître notre
involontaire indiscrétion.

Dans le cas d’Anne-Marie Binette (Emily dans la pièce), un jeu entre le naturel et le fictionnel, d’une estimable concentration dans son texte, totalement habité ; Olivier Gervais-Courchesne (William), celui par qui le scandale aurait pu arriver, s’engage avec brio dans un rôle ingrat. Et puis Catherine Chabot (Eva) et Maude Roberge-Dumas (Laura), toutes deux brillantes dans leur oppositions. Et Antoine Rivard-Nolin (Jack), d’une présence remarquable. Naturel, physique, alliant le geste et la parole avec une condescendance à la fois animée est essentielle.

Si la proposition est du déjà-vu et n’apporte rien de nouveau, le rappeller à notre mémoire constitue un engagement social de foi, en même temps qu’une idée sur le monde.

CHATROOM | Auteur : Enda Walsh – Traduction : Étienne Lepage – Mise en scène : Sylvain Bélanger – Scénographie : Geneviève Lizotte — Éclairages :André Rioux – Bande sonore : Caroline Turcot – Sonorisation : Christian David – Régie : Sonia Montagne – Costumes : Marc Sénécal – Comédiens : Simon Beaulieu-Bulman (Jim), Anne-Marie Binette (Emily) Catherine Chabot (Eva), Olivier Gervais-Courchesne (William), Antoine Rivard-Nolin (Jack), Maude Roberge-Dumas (Laura)| Durée : 1 h. (sans entracte)  – Représentations : Jusqu’au 21 mars 2015 – Théâtre Denise-Pelletier (salle Fred-Barry)

MISE AUX POINTS
★★★★★ (Exceptionnel). ★★★★ (Très Bon). ★★★ (Bon). ★★ (Moyen). (Mauvais). ½ (Entre-deux-cotes)

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