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Qui a peur de Virginia Woolf ?

20 février 2015

ENTRE TENDRESSE ET FÉROCITÉ

ÉLIE CASTIEL
THÉÂTRE
★★★★

Tout le long de la représentation, on ne cesse de penser aux mythiques Elizabeth Taylor et Richard Burton dans l’incandescent film Who’s Afraid of Virginia Woolf ? (1965) du regretté Mike Nichols. C’est probablement dû au fait que la névrose de ce couple légendaire hollywoodien est ici redoutablement transfiguré par le superbe duo Guérin/D’Amour à mesure que leur descente aux enfers progresse. Est-ce également un pur hasard si le décor (toujours aussi efficace chez Denoncourt) de Guillaume Lord rappelle celui de George James Hopkins dans le film, notamment dans son espace clos, sujet à un portrait d’individus pris dans l’engrenage de l’amour, du sexe, de l’absence et du manque.

Maude Guérin et Normand D'Amour ( Théâtre Jean Duceppe)

Maude Guérin et Normand D’Amour (© Théâtre Jean Duceppe)

Comme c’était le cas récemment dans Un tramway nommé désir, Denoncourt a tendance à construire des mises en scène selon ses propres convictions auxquelles il semble tenir mordicus ; sa vision du théâtre, celle de la sexualité – d’où ce magnifique et émouvant montage parallèle purement cinématographique entre l’acte adultère vu à travers les vitres irrespectueuses d’une porte de cuisine et l’action dans le salon) , celle aussi des rapports hommes/femmes, femmes/femmes et hommes/hommes. Car le metteur en scène ne se plie pas aux exigences de la normalité. Ses personnages sont des êtres écorchés et, tout compte fait, ce qu’il y a de plus normaux. Ils boivent (beaucoup, énormément), se disputent, souffrent, angoissent, baisent pour oublier, font face à la vie comme s’ils étaient prisonniers d’un navire qui vogue en pleine tempête.

La traduction de Michel Tremblay, elle se sent à cent lieues à la ronde, particulièrement chez le personnage de Martha (sublime Maude Guérin) mais qui, lorsque l’accent québécois la domine à certains moments, elle évoque plutôt la Mado Lamothe (que je respecte, soit dit en passant) du Village. Par rapport aux réparties, c’est là une tangente que prend de plus en plus le théâtre québécois, et qui peut lasser à la longue.

TH_Qui a peur de Virginia Woolf (02)

Maude Guérin, François-Xavier Dufour et Kim Despatis (© Théâtre Jean Duceppe)

Ceci dit, malgré ses longueurs, Qui a peur de Virginia Woolf ? dépeint les personnages d’Edward Albee avec une précision instinctive, voire même primaire et animale. Si d’une part la Martha et le George de Denoncourt sont aussi lumineux et farouches que le couple Taylor/Burton, force est de souligner que nous préférons l’impétuosité enfantine de Kim Despatis (Honey) et la versatilité qui collle à la peau de François-Xavier Dufour (Nick), beaucoup plus impliqués et émouvants que George Segal et Sandy Dennis, plutôt discrets malgré la bonne direction d’acteurs de Nichols.

Après toute représentation théâtrale ou suite à la projection d’un film, tout critique normalement constitué est confronté à une réaction instantanée qui est sans doute influencée par son état physique et/ou psychique du moment, sans doute aussi par la fatigue. Après une nuit de sommeil et une sérieuse réflexion le lendemain, il est prêt, je suppose, à endosser son acte critique plus objectivement. Dans le cas de Qui a peur de Virginia Woolf ?, il est prêt à dire tout haut qu’il s’agit d’une œuvre accomplie, mise en scène avec un liberté de geste et une intelligence fermement revendiquée.

DRAME PSYCHOLOGIQUE
Auteur : Edward Albee – Traduction : Michel Tremblay, adaptation de Who’s Afraid of Virginia Woolf? Mise en scène : Serge Denoncourt – Décor : Guillaume Lord – Éclairages : Étienne Boucher – Conception sonore : Nicolas Basque – Costumes : François Barbeau – Comédiens : Maude Guérin (Martha), Normand D’Amour (George), Kim Despatis (Honey), François-Xavier Dufour (Nick) | Durée : Environ 2 h 30 (1 entracte)  – Représentations : Jusqu’au 28 mars 2015Théâtre Jean-Duceppe.

MISE AUX POINTS
★★★★★ (Exceptionnel) ★★★★ (Très Bon) ★★★ (Bon) ★★ (Moyen) (Mauvais) ½ (Entre-deux-cotes)

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