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Le Chant de Meu

21 novembre 2014

CHEMINS DE TRAVERSE

Élie Castiel
THÉÂTRE
★★★★

Sur scène, deux comédiens, deux âmes en rupture, amis de longue date, presque frères, qui obéissent docilement aux changements qu’impose le temps. Un dialogue qui les réunit et qui les oppose, des monologues déchirants pour l’un comme pour l’autre.

Et finalement une fin de parcours, des chemins de traverse incontournables où une solide amitié est évacuée de façon expéditive. Pièce sur le temps qui passe et qui refuse le passé, Le Chant de Meu est une première incursion explosive de Robin Aubert dans le domaine du théâtre ; cinéaste atypique qui, avec À quelle heure le train pour nulle part prouvait jusqu’à quel point un film sans scénario peut s’avérer une idée folle, certes, mais non dépourvue de grande originalité.

Au théâtre l’influence cinéma dans ce « chant d’adieu » se fait sentir. Comme toile de fond, un mur noir où une ébauche de dessin montre une route rurale montrant des poteaux électriques s’imposant sur un terrain où quelques feuilles du désert se meurent quotidiennement. La griffe d’un dramaturge s’impose déjà, manipulant le spectateur entre sa vision des images en mouvement et un certain faux immobilisme théâtral. L’influence nord-américaine se fait réelle. Comme par hasard, on pense au Paris, Texas de Wim Wenders ou aux univers cinématographiques et dramaturgiques de Sam Shepard.

C’est ce qui explique sans doute la rigidité froide et cruelle du jeu d’un Hubert Proulx (Marco), intentionnellement désincarné, s’avouant vaincu devant les méfaits de la fin d’une amitié, livrant au futur immédiat un beau chant d’amour. Et devant lui, Martin Dubreuil (Alain), l’un des comédiens parmi les plus brillants de sa génération, théâtre et cinéma confondus, occupe l’intimiste décor théâtral muni d’un frigo de fortune et d’une chaise de maison rurale avec une physicalité animale extraordinaire. Entourant l’espace qui abrite et secoue les deux comédiens, des cailloux d’un jaune éclatant, méticuleusement placés comme gardes-frontières entre un monde extérieur réel et un monde intérieur qui se redéfinit.

Marco-Dubreuil est de ce monde. Il éclate, se contredit, s’affiche comme ayant râté sa vie, rêve à une catharsis plus illuminée et ouverte sur la rédemption. Il s’autorise le pardon au nom de l’humanité et de la fidélité aux origines, prenant parfois des chemins de traverse pour y réussir.

Benoît Desjardins soumet sa mise en scène à de purs moments d’émotion, dépassant souvent la simple anecdote, faisant de cette rupture fraternelle un moment clé dans le vécu d’un individu. La manipulation des éclairages par Maude St-Pierre précisent l’intensité de la présence des deux écorchés de la vie. Ils les caressent par moment, pour ensuite les brutaliser jusqu’à devenir bourreaux. Et ce frigo sur la scène, sorte de personnage immobile, mais criant de vérité, ne cache en fait que des cannettes de bière, palliatifs essentiels à amoindrir les coûts élevés d’une cassure émotionnelle et affective.

Mais Le Chant de Meu est aussi un cri de jubilation pour la langue, idiome régional québécois qui dame le pion à la tyrannie dictatoriale du français châtié et s’impose dans toute son originalité, sa saveur colorée et avant tout, son implication politique. Avec Le chant de Meu, Robin Aubert entre au théâtre par la Grande Porte.

 [ DRAME ]
Auteur : Robin Aubert Mise en scène : Benoît Desjardins – Costumes/Décors : Silène Beauregard – Adaptation des éclairages / Arrangements sonore : Maude St-Pierre – Conception sonore : Sylvain Lafontaine – Conception des éclairages : Émilie Gendron –– Comédiens : Martin Dubreuil (Alain), Hubert Proulx (Marc), et les voix de Fred-Éric Salvail et Éloïse Boies – Production : Noble-Théâtre des trous de siffleux | Durée : Approx. 1 h (sans entracte)  – Représentations : Jusqu’au 6 décembre 2014 – Prospero (Salle intime).

MISE AUX POINTS
★★★★★ (Exceptionnel) ★★★★ (Très Bon) ★★★ (Bon) ★★ (Passable) (Mauvais) 1/2 (Entre-cotes)

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