En couverture

Chaîne de montage

30 octobre 2014

LES OUBLIÉES DE JUÁREZ

Élie Castiel
THÉÂTRE
★★★ ½

Un seul personnage sur scène. Une seule voix. Un décor minimaliste : au fond, un grand mur de bouteilles d’eau minérale amoncelées les unes sur les autres, évoquant à la fois l’enfermement et la froideur de ces usines à production massive ; à l’avant-scène, des chaussures ou des bottes de femmes, une vingtaine en tout. Des victimes innocentes de l’agression.

Et puis une histoire racontée, pas n’importe laquelle. Un cri plutôt, un témoignage cohérent, intellectuel et humaniste sur une situation, certainement pas nouvelle, mais qu’il faut rappeler de temps en temps pour que l’on se souvienne, pour nous faire prendre conscience même, si au fond, nous ne pouvons pas grand-chose pour la changer.

À Juárez, dans l’état de Chihuahua, au Mexique, des jeunes femmes sans famille travaillent dans des usines multinationales pour un salaire de misère, six dollars par jour, comme nous le rappelle le personnage sur scène, alter ego évident de l’auteure, Suzanne Lebeau. Ces femmes, dont plusieurs encore adolescentes, on les appelle les maquiladoras (sans doute voulant dire « celles qui opèrent les machines »).

Et soudain, en 1993, on trouve le corps d’une de ces travailleuses, à moitié enfoui dans le sable, morte par strangulation après avoir été violée. Au cours des dix prochaines années, on retrouvera plus de 400. Autant de violences faite aux femmes et qui, comble de malheur, demeurent encore non élucidées et encore moins résolues. De part sa nature, Chaîne de montage se classe pami les essais interventionnistes où la politique des grandes entreprises multinationales est jugée sans équivoque, placée dans le rang des accusés. Et à juste titre, puisque ce n’est que le profit immédiat et toujours croissant qui compte avant tout pour ces magnats de la finance.

Cette déshumanisation arbitraire a poussé Suzanne Lebeau à se manifester sur la question. Pour la représenter, une commédienne qui a déjà prouvé qu’elle pouvait être immense, présente, totale (Thérèse et Pierrette à l’école des Saint-Anges, le Michel Tremblay mis en scène par Serge Denoncourt et, entre autres, des Wajdi Mouawad (Temps, Le Sang des promesses).

Dans Chaîne de montage, il y avait lieu d’occuper la scène, de se l’accaparer, d’en faire un espace de discours sur la question. Or, et on le regrette, Laplante est souvent figée (peut-être bien que le sujet l’impose), faisant face aux spectateurs comme s’il s’agissait du cours donné aux étudiants par un professeur d’université. Et c’était peut-être voulu ainsi par le metteur en scène Gervais Gaudreault.

Par moment, Laplante se déplace, atténuant ainsi le côté sombre, mais essentiel de ce dont il est question. Mais ce qui manque dans le jeu de la comédienne, c’est une âme, un comportement, une revendication que l’on peut sentir, une mise en situation plus alerte. Or, je n’ai rien ressenti de tout cela. Le sujet m’a bouleversé, m’a obligé à remettre en question les politiques économiques extrêmes et dévalorisantes dans le monde d’aujourd’hui. Je me suis insurgé également contre la misogynie galopante de nos sociétés. Mais tout cela était en mon for intérieur. Il est bien dommage, je n’ai pas été particulièrement ému, simplement interpellé.

[ DRAME  ]
Texte : Suzanne Lebeau – Mise en scène : Gervais Gaudreault – Décor : Stéphane Longopré – Costume : Sarah Lanchance – Environnement sonore : Diane Labrosse – Éclairages : Dominique Gagnon – Concept Lasers : Laurent Lamarche – Comédienne : Linda Laplante – Création : Théâtre de Quat’Sous et Carrousel, compagnie de théâtre |  Durée : 1 h 20 approx. (sans entracte)  – Représentations : Jusqu’au 21 novembre 2014 – Théâtre de Quat’Sous.

MISE AUX POINTS
★★★★★ (Exceptionnel) ★★★★ (Très Bon) ★★★ (Bon) ★★ (Passable) (Mauvais) 1/2 (Entre-cotes)

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