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Opening Night

7 septembre 2014

JEU DE MASQUES

Élie Castiel
THÉÂTRE
★★★ ½

Le scénario et la réalisation signés par John Cassavetes donnait à Gena Rowlands la possibilité de confirmer une fois de plus son immense talent. Film intentionnellement théâtral, Opening Night (1977) s’avérait comme l’un des plus réussis de son auteur, véritable essai cinématographique sur l’art de la scène, mais aussi sur celui d’interprétation. Éléments filmiques que Jules Dassin exploitait aussi avec brio dans Cri de femmes (1978), avec une Melina Mercouri aussi éblouissante que viscéralement intense.

Sylvie Drapeau s’est sans doute inspirée des deux comédiennes, du moins c’est ce que l’on ressent en observant de près son jeu. Mais là où Rowlands et Mercouri maintenaient le sens de la mesure, Drapeau pèche par excès. Il aurait fallu que l’enthousiasme soit plus modérée. Et c’est là le problème majeur dans la direction d’Éric Jean.

Force est de souligner que ce léger ennui, si pris au sérieux, pourrait trouver remède au cours des prochaines représentations. N’empêche que la mise en scène brille toutefois par sa simplicité : changements des décors parfaitement maîtrisés et qui annonce chaque séquence harmonieusement, sans que le tout s’avère obstruant, bonne utilisation des éclairages, mises en abyme subtiles renvoyant autant aux comédiens sur scène comme aux spectateurs les angoisses que vivent les personnages, notamment Myrtle Gordon (Drapeau), à l’aise dans son rôle malgré la remarque initiale mentionnée ci-haut.

À la mort tragiquement accidentelle d’une jeune admiratrice après être venue la saluer en pleine répétition, Myrthle traverse une grave crise existentielle qui va perturber la première de la pièce où elle tient le rôle principal. S’établissent alors entre les comédiens et elle des rapports de force, des liens difficiles à contrôler. Un jeu de miroir et de masques que l’on porte et que l’on enlève selon les circonstances. Entre la vie et le théâtre, entre la réalité et la fiction, des parallèles s’entrecroisent et la mise en situations de Jean l’exprime habilement.

Alors que le film de Cassavetes durait deux heures et vingt-deux minutes, l’adaptation de Fanny Britt ne fait qu’un peu plus d’une heure. Cette économie dans le temps et l’espace procure à la pièce un rythme aérien que l’on apprécie davantage.

Accepter un rôle « de vieille », accepter « de vieillir », confondre théâtre et réalité, remettre en question la notion de « jeu » et le juxtaposer avec le quotidien. Porter des masques et s’en défaire. Tels sont les questionnements existentiels qui traversent l’esprit du personnage principal, mais surtout celui de Fanny Britt qui a parfaitement compris la démarche humaniste d’un John Cassavetes farouchement intransigeant et illuminé.

DRAME | Auteur : John Cassavetes (scénario de son film Opening Night, 1977) – Adaptation / Traduction : Fanny Britt – Mise en scène : Éric Jean – Décors : Pierre-Étienne Locas – Costumes : Cynthias St-Gelais – Musique : Uberko – Éclairages : Martin Sirois – Comédiens : Sylvie Drapeau, Muriel Dutil, Jean Gaudreau, Stéphane Jacques, Agathe Lanctôt, Jade-Măriuka Robitaille, Sasha Samar, Mani Soleymanlou | Durée : 1 h 05 approx. (sans entracte)  – Représentations : Jusqu’au 27 septembre 2014 – Théâtre de Quat-Sous.

MISE AUX POINTS
★★★★★ (Exceptionnel) ★★★★ (Très Bon) ★★★ (Bon) ★★ (Passable) (Mauvais) 1/2 (Entre-cotes)

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