En couverture

Nabucco

21 septembre 2014

VIVA LA LIBERTÀ

Élie Castiel
OPÉRA
★★★

À l’origine, à l’instar du drame théâtral d’Auguste Anicet-Bourgeois et de Francis Cornu, l’opéra devait s’intituler « Nabuchodonosor », évoquant l’épisode biblique de l’esclavage juif à Babylone. Mais pour les besoins de l’opéra, on a préféré Nabucco ; même si au fond, l’arrière-plan est le même : une métaphore politique de la ville de Milan sous occupation autrichienne.

Détail qui se concrétise dans cette version de l’Opéra de Montréal par une finale tout à fait originale, noyau centrale de la soirée, et qui a soulevé, à juste titre faut-il ajouter, l’accueil dûment enthousiaste des spectateurs. Ce qui permet à l’Opéra de Montréal de débuter l’édition 2014-2015 de façon sensationnelle. Qui de mieux que Verdi pour amorcer une saison qui s’avère des plus fructueuses ?

Et pourtant, par les temps qui courent, Nabucco peut paraître un geste courageusement engagé de la part des programmateurs. Même si son inclusion dans la programmation a été décidée bien avant le récent conflit entre Israël et Gaza, certains spectateurs trouveront là une coïncidence douteuse, voire même provocatrice. Les esprits fermés qui ne font pas la différence entre l’art et la politique et qui surtout ne comprennent pas le pouvoir secret de l’image et de l’analogie, trouveront sans doute que louanger le peuple hébreu de nos jours n’est pas vraiment approprié. Et pourtant, pour Verdi, l’idée de l’opéra était de défendre une thèse adroitement partisane sur ce qui se passait en Italie. Sur ce point, le Va, pensiero, l’air le plus populaire, est exécuté de façon éloquente et d’une poignante force évocatrice par un chœur magnifiquement dirigé. Ce morceau musical sublime renvoie à la souffrance et à la résilience de l’humain face au pouvoir du mal et de l’oppression.

Mais la force du Nabucco-OdM, c’est surtout le décor, majestueux, rompant comme par magie avec un certain minimalisme de ces dernières années, redonnant à l’opéra ses lettres de noblesse, comme il se doit, suggérant dans le même temps la distanciation nécessaire entre le spectacle sur scène et les spectateurs, pour mieux apprécier ce que l’on voit, pour contempler, le temps que dure la représentation, la différence entre le rêve inconditionnel de l’imaginaire et la routine parfois obsédante de la vie.

Cette dualité est palpable tout le long de l’opéra, néanmoins un peu gâché par une mise en scène un tant soit peu mollassonne, notamment en ce qui a trait aux déplacements des personnages (ce détail pourrait d’ailleurs être corrigé dans les prochaines représentations), c’est-à-dire des chanteurs qui, eux, toutefois, prennent possession de leurs rôles respectifs grâce à la conviction de leurs puissantes voix.

Assister à la première d’un spectacle, c’est aussi constater les erreurs qui peuvent se glisser à cause du trac, tout à fait légime, que peuvent ressentir les artistes, voire même le chef de pupitre et les musiciens. Sur ce point, malgré la réserve mentionnée ci-haut, le metteur en scène Thaddeus Strassberger (dont le travail est repris par Leigh Holman) a gagné son pari face à un opéra qui nécessite d’énormes efforts pour être dignement réussi. Agissant également comme maître des décors, on ne peut que louer Strassberger d’avoir pensé à situer trois loges de spectateurs fictifs à la gauche de la scène assistant, au même spectacle que nous, les spectateurs. Mais si on est assis du mauvais côté de la salle Wilfrid-Pelletier, on risque de manquer ce véritable coup de génie.

Cette éloquente mise en abyme renvoie donc à deux époques bien différentes, celle quand l’opéra a été joué pour la première fois, et de nos jours, sur la scène montréalaise. Binarité dans la mise en scène qui place l’art de la représentation dans sa signification la plus politiquement humaniste. De nos jours, cette prise de position ne peut que contribuer à revaloriser la pensée critique et le génie du compromis.

 [ DRAME ]
Compositeur : Giuseppe Verdit – Livret : Temistocle Solera, d’après le ballet Nabuchodonosor, d’Antonio Cortesi et la pièce de théâtre éponyme d’Auguste Anicet-Bourgeois et Francis Cornu – Direction musicale : Francesco Maria Colombo / Orchestre Métropolitain / Chœur de l’Opéra de Montréal – Mise en scène : Thaddeus Strassberger, reprise par Leigh Holman – Décors : Thaddeus Strassberg – Costumes : Mattie Ulrich – Éclairages : Mark McCullough, repris par Jeffrey Allan Messenger – Chanteurs : Paolo Gavanelli (Nabucco), Tatian Melnychenko (Abigaille), Jevgen Orlov (Zaccaria), Antoine Bélanger (Ismaele), France Bellemare (Anna), Pasquale D’Allessio (Abdallo), Jeremy Bowes (Grande Prêtre de Baal) | Durée : 2 h 40 (incluant 2 entractes) | Prochaines représentations : mardi 23, jeudi 25 et samedi 27 septembre, à 19 h 30 / Place-des-Arts (Salle Wilfrid-Pelletier).

MISE AUX POINTS
★★★★★(Exceptionnel) ★★★★ (Très Bon) ★★★ (Bon) ★★ (Moyen) (Mauvais) 1/2 (Entre-deux-cotes)

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