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Saint Jude du Village

21 août 2014

JUDE ET MICHEL

Élie Castiel
CRITIQUE
★★★★

Derrière le superflu et l’imaginaire dans Saint Jude du Village, adaptation québécoise de Holy Tranity!, de Puelo Deir, se cache une histoire d’amour écorchée, imprécise, rendue impossible par l’apparition du sida. Ou est-ce vraiment le cas ? Les années 80 ont été les plus dévastatrices en ce qui a trait à l’endémie du siècle dernier. Sur ce point, le texte original de Deir et la traduction française de Philippe Gobeille et Thiéry Dubé sont fidèles à une époque qui semble, aujourd’hui, oubliée.

Les choses ont-elle vraiment changé ? Si les traitements actuels prolongent la vie des personnes affectées par la maladie, faisant du sida un mal chronique et pas nécessairement mortel dans la majorité des cas enregistrés dans le monde occidental, force est de souligner que la mise en scène de Gobeille, de par sa structure volontairement éclatée, voire même intentionnellement bordélique, est un cri de cœur, un acte de résistance contre l’oubli, une mise en valeur de la condition homosexuelle et surtout et avant tout un constat sur les changements qui se sont opéré dans les mentalités.

Côté mise en situations, le metteur en scène procède par séquences à la limite du spectacle cinématographique, chaque nouveau chapitre précédé de quelques brèves secondes de silence, comme s’il s’agissait d’une ouverture à l’iris, ou bien encore d’un fondu enchaîné. Dans la première partie, cette technique paraît artificielle, mais sauvée in extremis par une interprétation solide de la part de tous les comédiens, Marc-André Leclair superbe de folie et d’humanité dans le rôle de Gracie. Il est sûrement entouré d’Alexis Lemay-Plamondon (Jude/Santo$), qui manipule allègrement et adroitement sa physicalité, et de Simon P. Therrien (Michel), dramatiquement émouvant, prenant conscience qu’un nouvel ordre social s’organise dans la communauté gaie.

Entre la banalisation d’une vie marginale et la possibilité de nécessaires transformations, deux univers s’opposent, céder à la tentation du désir et de la facilité ou changer de style de vie. De cette interrogation, une histoire d’amour se dresse à l’horizon. Le fatalisme règne, la confusion des sentiments aussi, et ce n’est là qu’un regard objectif sur une période charnière de l’historique du sida selon une perspective gaie.

S’accepter, oui, mais à quel prix ? Nous ne révélerons pas la fin. Empreinte d’une grande émotion ; elle est en quelque sorte un signe d’espoir, un indice prémonitoire de renouveau, une renaissance de l’âme.

Et bien entendu, les chansons, entre autres, de Nanette Workman, Madonna, Judy Garland, Dalida, David Bowie et George Michael, des inserts diégétiques nécessaires pour mieux comprendre la dynamique de cette période. Entre Jude et Michel, l’histoire d’amour est vécue malgré tout, même si c’est par le truchement de la symbolique et de l’imaginaire. Car Saint Jude du Village est ancrée dans l’univers du théâtre fringe et celui de la gaiitude, débarrassé de tout complexe et de compromis.

[ DRAME ]
Auteur : Puelo Deir – Traduction : Philippe Gobeille, Thiéry Dubé – Mise en scène : Philippe Gobeille – Collages: India Evans – Éclairages : Julie Tessier – Musique : Diverses – Costumes : Melissa L’Archevêque – Chorégaphie: Danny Morissette – Comédiens : Alexis Lemay-Plamondon (Jude / Santo$), Marc-André Leclair (Gracie), Simon P. Therrien (Michel), Alexandre Ianuzzi (DJ) et les danseurs Alexandre Ianuzzi, Johny Filiatraut, Pascal Lalancette, Mathieu Rainville – Production : Puelo Deir / Boy About Town | Durée : 1 h 45 (1 entracte)  – Représentations : Jusqu’au 24 août 2014 – Salle Claude-Léveillé (Place des Arts). Interdit aux moins de 16 ans.

MISE AUX POINTS
★★★★★ (Exceptionnel) ★★★★ (Très Bon) ★★★ (Bon) ★★ (Passable) (Mauvais) 1/2 (Entre-deux-cotes)

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