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Les Liaisons dangereuses

13 avril 2014

L’INSOUTENABLE LÉGÈRETÉ DES ÊTRES

Élie Castiel
CRITIQUE
★★★★ ½

La traduction française de la pièce de Christopher Hampton par Serge Denoncourt conserve le côté dévastateur des personnages, notamment dans le cas de la marquise de Merteuil et du vicomte de Valmont, car c’est par eux que le scandale arrive. Les mots incendiaires, les paroles à double sens, les réparties artificielles, les jeux fourbes sont autant de maux qui emprisonnent ces deux anti-héros d’un récit cruel sur la manipulation et la recherche hédoniste du plaisir.

Le sexe n’est plus ici un acte d’amour, mais un rapport de force et de domination. La guerre des sexes est déclarée et se conjugue au présent et au futur, comme si l’expectative d’une rédemption ne passerait que par un acte irréversible.

Il y a aussi une mise en scène, remarquable, d’une grande originalité. Sa conception circulaire, passant d’une scène à l’autre comme les aiguilles d’une horloge permet aux personnages d’intégrer adéquatement le récit et d’interagir ainsi comme s’il s’agissait d’un livre que nous lisons en tournant les pages.

Prisonniers de leurs tristes desseins, Merteuil et Valmont ne sont que des fantômes qui traversent la communauté des humains pour mieux les enchaîner et surtout les posséder pour en faire des marionnettes. Pour rendre ces deux personnages plus vrais que nature, deux comédiens exceptionnels ; d’une part Julie Le Breton, entière dans sa manière d’être, calculatrice, jouant le jeu de l’ambiguïté avec autant de candeur que de malice ; dans le cas d’Éric Bruneau, le machiavélisme opportun qu’on pouvait trouver chez John Malkovich dans la version cinématographique de Stephen Frears laisse la place ici à  cynisme glacial, un mélange de fausse modestie et de sincérité maladive qui correspond bien au comportement de certains dandys oisifs des années d’après-guerre du siècle dernier, époque où se situe l’action. Si d’une part, force est de souligner que la comparaison entre Bruneau et Malkovich est difficile à éviter, il faut admettre que chez certains critiques, la forte impression laissée par l’acteur américain les a sans doute influencé à être plus sévère envers Bruneau.

Dans Les Liaisons dangereuses version-Denoncourt, tous les autres interprètes se distinguent également. On songe notamment à Kim Despatis (Cécile de Volanges), qui passe de la virginité de ses tendres années à la découverte des sens avec un naturel désarmant, et aussi à l’élégance et au raffinement étincelant d’une Lénie Scoffié en pleine possession de ses moyens.

La fin est sans doute moralisatrice, mais qu’importe puisqu’elle cadre parfaitement à notre époque où les choses du sexe et de l’amour sont du domaine de l’immédiat et se distinguent par le plaisir instantané. Une chose est certaine, Les Liaison dangereuses est l’un des moments de théâtre les plus inspirants de l’année. À ne rater sous aucun prétexte.

[ DRAME ]
Auteur :
Christopher Hampton, d’après le roman de Pierre Choderlos de Laclos – Traduction : Serge Denoncourt – Mise en scène : Serge Denoncourt – Décors : Guillaume Lord – Éclairages : Étienne Boucher – Musique (piano) : Laurier Rajotte – Costumes : François Barbeau – Comédiens : Julie Le Breton (marquise de Merteuil), Éric Bruneau (vicomte de Valmont), Magalie Lépine-Blondeau (présidente de Tourvel), Annick Bergeron (madame de Volanges), Kim Despatis (Cécile Volanges), Jean-Moïse Martin (Azolan), Kashia Malinowska (Émilie), Lénie Scoffié (madame de Rosemonde), Philippe Thibault-Denis (chevalier Danceny) | Durée : 2 h 20 (1 entracte)  – Représentations : Jusqu’au 17 mai 2014 – Théâtre Jean-Duceppe

MISE AUX POINTS
★★★★★ (Exceptionnel) ★★★★ (Très Bon) ★★★ (Bon) ★★ (Moyen) (Mauvais) 0 (Nul) ½ (Entre-cotes) – LES COTES REFLÈTENT L’AVIS DES SIGNATAIRES.

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