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Gilles Carle | 1929-2009

6 décembre 2009

Glanures

Dès 1966, Gilles Carle est interviewé à Séquences par Léo Bonneville. Ses paroles confirment la continuité d’une œuvre nourrie principalement par la passion du cinéma, l’esthétique de la pensée, une vision de le vie à la fois jouissivement anarchique et débordante d’humanité. C’est par sa pensée que nous rendons hommage à ce grand disparu de notre cinéma national.

Paroles colligées par Luc Chaput

« Avec Patinoire, j’ai réfléchi sérieusement à une formule qui pourrait plaire,  qui pourrait être à la fois cinématographique et plaire, c’est-à-dire, acceptée du public….Je le voulais plus abstrait; le film s’est révélé beaucoup trop concret….Il y a un côté réjouissant que je voulais: une sorte d’acceptation du froid et de l’hiver afin d’en faire une chose joyeuse… Si vous faites des petits films de dix minutes sans aucune expérimentation, vous êtes dans l’erreur car c’est presque la fonction de petits films semblables… Ce n’est pas un type d’expérimentation d’avant-garde, comme, par exemple, celui de l’école de New-York. J’ai rejeté assez tôt ce type d’avant-gardisme que je trouve déjà en retard.»

« Dans Pattes mouillées: ne pas donner un côté « dieux du stade» aux jeunes athlètes. Je le refusais complètement. … Voyez-vous, par exemple, au point de vue des plongeons, Leni Riefenstahl avait filmé des plongeurs dans le soleil et ils avaient l’air vraiment de dieux extraordinaires….Alors moi, j’ai délibérément monté en jump-cut cette séquence et je l’ai rendue comique pour supprimer ce côté….La natation, ou le sport, est une chose normale et non pas une chose à déifier.»

Un air de famille : «Je me sers des méthodes du candid avec des acteurs, jusqu’à un certain point, mais c’est ce que j’appelle un «candid de l’esprit»…. Je note énormément dans la vie. J’observe, je regarde et c’est de cela que je me sers. Mais à partir de ça, je demande aux acteurs de refaire, de réinventer tout de façon à tout transposer. C’est pour ça que j’en suis arrivé à vouloir des acteurs professionnels dans mes films.»

« Je suis persuadé que Léopold Z, dans dix ans, deviendra un documentaire assez tragique. On verra le dessous des gags… Et c’est ca, non seulement la comédie,  mais la vérité de la comédie: faire une synthèse rapide et caricaturale d’une vérité qui est très juste et parfois assez pénible.»

«Le scénario est un outil personnel que je ne passe à personne. Avec ce qu’on appelle de bons scénarios, on ne peut faire du bon cinéma. Ça me paraît une illusion. Le film, scénario ou non, se vit devant les caméras et c’est à ce moment-là que commence le vrai travail. Avec les comédiens.

«Moi, je dis que ne fais pas des films superficiels, mais je ne peux pas le prouver. J’attends que le temps m’aide un peu.»

« Les Mâles, ce n’est ni post-révolutionnaire, ni pré-révolutionnaire. C’est pour moi deux hommes parfaitement ridicules qui cherchent à se révolutionner eux-mêmes. C’est très différent…. Je ne donne pas mon film comme toute la réalité.. Je donne mon film comme un regard de Gilles Carle sur une certaine réalité…. Je prends la banalité de la vie quotidienne et, ici, je dépayse cette banalité….

Ce qui me surprend, c’est que je fais des plans très longs (quatre minutes) et que personne ne les remarque. On ne met pas l’accent là-dessus. Que ces plans ne soient pas perçus en tant qu’éléments grammaticaux, j’en suis content.»

La Vraie nature de Bernadette : « J’ai évidemment inventé le personnage de Bernadette, de toutes pièces, car je n’aime pas étaler a subjectivité à l’écran. J’essaie toujours de débarrasser mes films de leur gangue autobiographique… En réalité, non seulement le film ne propose pas une sorte de retour à la terre, mais il donne à voir exactement le contraire: l’envahissement généralisé de la nouvelle société urbaine…

J’ai d’ailleurs été étonné de constater  que nos cinéastes ne se préoccupent pas davantage de notre passé religieux…. Personnellement dans  La Vraie nature, je ne l’ai pas oublié même si la religion ne me préoccupe pas d’une façon particulière, comme chez Olmi ou Bresson….Bernadette est bonne et intelligente. Mais elle pratique la bonté sans l’intelligence. C’est dangereux.»

«Il y a deux films importants dans ma vie, La Vie heureuse de  Léopold Z parce que c’est mon premier film et La Mort d’un bûcheron parce que c’est mon deuxième premier… Le bûcheron c’est notre cowboy.»

«Je suis toujours persuadé que La Tête de Normande St-Onge est un film scientifique. J’ai été très touché quand Félix Guattari m’a écrit pour me dire:

«Votre film est le vrai premier film sur la folie.»

L’Ange et la femme « Nous croyions  avoir fait le  film idéal pour le Festival de la Critique, qui naissait à ce moment-là, à Montréal. Un petit film original, né de l’amitié de quelques personnes, fait sans argent, dans des conditions de parfaite marginalité. Pourtant, le film n’a même pas été invité. … Pourquoi est-ce plus laid de regarder des gens faire l’amour que de regarder des gens manger? Seule la morale colore ces deux actions d’une façon différente. Alors dans L’Ange et la femme j’ai dé-moralisé. Mais encore là, les bruits de l’amour ne sont pas plus importants que les bruits de fourchettes dans la scène du souper silencieux.»

Fantastica: «Le malheur, c’est que, dans une comédie musicale, les personnages ont plutôt tendance à devenir des images que des vrais personnages. Je dis le malheur mais c’est peut-être un bonheur… Il faut donc voir le film comme on voit un livre d’images dont les pages auraient été mêlées volontairement. Autrement, on risque d’être déçu et de retourner au disco…. Quand quelqu’un dit que mon film boîte, je lui dis d’aller le voir une seconde fois. C’est rare qu’il ne change pas d’idée»

Les Plouffe: «Lemelin possède une qualité rare, il sait s’effacer devant ses personnages. Parfois nous écrivions de longs  dialogues brillants, trop brillants.  Lemelin s’arrêtait:«Non, Ovide ne dirait pas ça.. il ne dirait rien.» Jamais en tant qu’auteurs, il ne nous laissait parler à la place des personnages….Parler de musique, d’opéra et de culture française, comme Ovide le fait pendant une joute sportive, cela montre mieux son caractère marginal…. Un monteur, c’est comme un moine à la fenêtre; il a des visions et il ne faut pas le déranger, sinon le miracle ne se produit pas. Si les couleurs sont adoucies tout au long du film, elles vous sautent aux yeux lorsqu’elles sont plus vives. Je voudrais m’inscrire en faux contre ceux qui prétendent que le joual empêche nos films de communiquer avec l’étranger. J’ai connu personnellement l’expérience contraire.»

Maria Chapdelaine : «L’écrivain dont Louis Hémon me semble le plus proche, ici, est Gabrielle Roy. Entre Maria Chapdelaine et Bonheur d’occasion, il y a une obscure parenté….J’ai pensé seulement que pour rester fidèle à l’esprit de l’oeuvre, il ne fallait pas pousser sur des sentiments. Je me suis appliqué à garder les émotions en sourdine, d’une manière douce mais permanente. Pas de drame intense avant la fin.»

La Postière : «À l’époque,  j’avais tout axé sur La Corriveau. Je n’acceptais rien d’autre …. La petite ville que j’ai connue était polyglotte et multi-ethnique, avec des Polonais, des Italiens, des Juifs. Je n’ai pas connu le Québec monolithique qui est celui peut-être de Jean-Pierre Lefebvre ou de Claude Jutra. J’ai eu une enfance heureuse et je voulais restituer mon bonheur de vivre à ce moment-là…. L’important c’est de ne pas tricher avec la réalité. Aujourd’hui, on a tendance à faire de la bande dessinée, du farfelu, de l’abracadabra. Il ne faut pas tromper le public. J’ai vu Montréal vu par… C’est une immense tricherie. On a passé à coté du sujet. Et surtout on s’est vanté d’avoir passé à côté. Quelqu’un a eu cette parole idiote – est-ce la maire Jean Doré? – «au moins on a pas fait un documentaire des années 50.» Mais c’est un sophisme: on cache une niaiserie par une autre qui date de 40 ans.»

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